Plein la gueule pour pas un rond

Parfois, quand les hasards d’Internet et des liens hypertextes me guident vers des rivages inconnus, j’échoue sur des articles de blogs ou de forum consacrés à des livres, généralement du genre que je lis, traduis ou écrit. Et au milieu des critiques élogieuses ou négatives, constructives ou admiratives, il se trouve toujours quelqu’un pour démonter la traduction.

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“C’est moche”, “on y perd”, “je serais capable de faire mieux”, “ça ne correspond pas à l’idée que je me fais du personnage”… voilà ce qui revient le plus souvent. Malheureusement, nous exerçons un métier invisible : on peut dire que notre travail est bien fait quand on ne s’aperçoit pas de notre passage.
A titre personnel, je n’ai pas de diplôme de traduction, mais j’ai tout de même étudié les langues vivantes, en me frottant à la traduction “universitaire”, et je me forme aussi au fur et à mesure que j’évolue dans mon travail. La plupart de mes collègues ont effectué des formations et obtenu des diplômes attestant de leurs compétences. Alors certes, il peut nous arriver de rendre quelque chose de “moyen” ou de “passable” (tout le monde a ses mauvais jours, même le médecin généraliste ou le marchand de fruits et légumes), mais normalement, l’édito est là pour passer derrière nous (et décidera, le cas échéant, de ne plus travailler avec nous). Notez tout de même que nous remettons notre job en jeu à chaque ouvrage traduit : si ça ne convient pas, l’éditeur / le client choisira d’aller voir ailleurs, et nous, on en sera quitte pour prospecter en catastrophe (non, on ne touche pas le chômage, pensez-vous).

Mais parfois, souvent même pour le genre d’ouvrages qui me concernent, le texte original est plein de failles. Il peut être truffé de redondances, incohérent (j’ai une copine qui passe son temps à rétablir les incohérences dans certaines de ses séries, je pense que ça lui bouffe 25% de son temps de traduction), lourd, y compris en VO… Traduire vers le français, cela signifie fluidifier le texte, le rendre agréable à lire, donner envie au lecteur de poursuivre… par exemple, très concrètement, en traquant les répétitions : rappelez-vous vos cours de français de collège, quand on vous expliquait qu’il fallait éviter les répétitions (et essayez d’appliquer en traduisant une langue qui se contrefiche desdites répétitions et qui, du coup, en fout partout…).
Comme disait mon prof de latin en prépa : “Y et en sont les deux mamelles de la version”.
Je vous passe sur les phrases si mal ficelées qu’on ne comprend pas comment se déroule l’action, ou encore les personnages qui se lèvent deux fois de suite sans se rasseoir.
Vous pouvez aussi prendre en compte les conditions de travail de certains d’entre nous, que ce soit à la traduction ou à l’édito. Forcément, dans ces cas-là (dont je ne fais pas partie), la qualité baisse, c’est évident.

Alors, oui, si ça se trouve, vous êtes capable de faire mieux. En ce cas, pourquoi ne pas tenter votre chance ?
Si ça se trouve, vous préférez lire en VO parce que cela ajoute une dimension exotique ou dépaysante à votre lecture. Tant mieux ! En plus, vous n’aurez pas forcément à attendre trois ans que l’éditeur français publie l’intégralité de la série.
Mais si ça se trouve, aussi, vous avez un peu besoin de nous. Parce que, bon, on ne peut pas parler toutes les langues de la terre…

19 thoughts on “Plein la gueule pour pas un rond”

  1. Ça t’est arrivé de faire un dessin pour essayer de comprendre dans quel sens étaient les personnages, puis en comptant de t’apercevoir qu’il y a un bras en trop ?
    Joies de la traduction…
    En même temps, c’est ce qui donne un petit lustre drolatique au boulot, ça et écrire des gros mots dans le CRISCO 😉

  2. Alors le bras en trop, j’ai pas eu, mais il m’est arrivé de mimer la scène de combat pour comprendre où se trouvait la jambe du personnage…
    Mais je suis d’accord, rien ne vaut le bonheur de mettre des gros mots et de se plaindre sur FB.

  3. Je vais encore faire la fille qui ne prend pas position mais comme dans tout, il doit y avoir des bons et des moins bons traducteurs comme il y a de bons et de moins bons auteurs d’ailleurs. Et j’imagine qu’effectivement certains livres doivent être compliqués à traduire, hum, hum…
    Pour l’anecdote, je lis certains livres en anglais plutôt qu’en français pas forcément pour la langue en fait (même si ça me permet de m’exercer) mais pour la mise en page, le papier et les couvertures qui me correspondent souvent mieux 😉

  4. Ah mais je ne dis pas qu’on est tous des génies, loin de là ! Moi-même je pense faire honnêtement mon job, mais sans doute pas mieux que ça…
    J’aime aussi beaucoup lire en anglais, surtout la romance, ne serait-ce que parce que les couvertures sont plus belles, et j’ai moins peur d’abîmer le bouquin parce que le papier est de nettement moins bonne qualité. Après, il y a tous ces classiques que j’espère lire un jour en VO et que je mets de côté en attendant 🙂

  5. J’aime aussi lire en VO mais aussi en français, pour le plaisir de ne pas avoir à réfléchir.
    Et quand je traduisais des animes en japonais, j’en ai pris aussi plein dans la gueule du genre : mais pourquoi l’héroïne ne parle pas comme en Japonais ? C’est trop mignon quand elle dit “Sadako est contente” quand elle pare d’elle. Et d’un je trouvais ça moche et absolument pas naturel en Français et de deux, Alain Delon n’est pas un critère d’élocution…
    C’est vrai que c’est frustrant et énervant de se voir critiquer pour des vues de traduction.
    En outre, un traducteur fait du mieux qu’il peut pour adapter à notre vocabulaire et nos expressions… C’est un exercice plus compliqué qu’il n’y parait au premier abord. Il n’y a qu’à voir les traductions amateurs d’animes par exemple… Mes yeux ont saigné et souvent…

  6. Comme je te comprends ! Récemment, je suis tombée sur quelqu’un qui proposait sa propre traduction amateur d’un texte anglais : visiblement, l’expression “répétition anaphorique” ne lui a jamais été balancée dans la gueule par un éditeur…
    Et en effet, Alain Delon n’est pas un modèle d’élocution ! Ce qui passe en japonais parce que ça fait “kawaii” sonne juste complètement débile en français. Mais au-delà des fans hardcore, souvent prompts à nous démolir, il faut penser à tous les autres, ceux qui n’accrocheront pas au texte / dialogue si ce n’est pas un minimum compréhensible en bon français.
    (Moi aussi je lis en français pour me détendre ! Et aussi pour prendre des leçons de traduction)

  7. Merci merci merci 🙂 Mais j’espère malgré tout que tu n’es pas tombée sur des choses trop désagréables.

    Même en trad technique, j’ai dû mimer de ces choses, notamment pour les recettes de sushi x_x

    Et ce qui est particulièrement chiant avec la traduction, c’est que tout le monde ou presque se pense qualifié pour juger. Tout le monde ou presque pense à la partie « anglais » (tout le monde ou presque étant bilingue), « allemand » (y a déjà moins de gens) ou « chinois » (plus personne). Mais personne ne pense à la partie « français », qui est – selon moi – plus importante ! Non ce n’est pas donné de détricoter des choses qui ne veulent parfois rien dire pour leur donner un semblant de sens.

    Et que dire des expressions type « Traduttore, traditore » et « lost in translation » que je ne peux plus voir en tableau…

    Je sais que certains romans sont hyper mal écrits ou terriblement plats alors que le français ne supporte pas la répétition. En « technique », la plaie, ce sont les textes écrits en anglais par des non-natifs, voire par des Français, que je dois ensuite « retraduire » en français. Et attention si je ne mets pas exactement ce qu’a voulu dire l’auteur en pensant si bien maîtriser l’anglais… Oui, je suis en plein dedans et oui, ça se voit que je n’ai pas Facebook pour m’en plaindre ^^”

    Mayla > comme je compatis. Réflexion faite, les japonisants sont vraiment les pires, avec – dans le monde des mangas et des anime – cette tendance à vouloir du -chan, du -san et du -sama à tous les étages, pour être plus proche de leur passion. Je ne comprends pas que certains en soient encore à cette « réflexion » mais en même temps, j’ai déjà entendu quelqu’un utiliser un de ces suffixes en français, donc bon.

  8. Je crois que j’ai touché une corde sensible ! J’ai parlé de la trad littéraire car c’est celle que je pratique, mais je pensais aussi à toi…
    Je suis d’accord, le français est au final le plus important, puisque c’est la langue que maîtrisent les personnes qui n’ont pas l’heur de (bien) parler la langue source. Mais tout le monde se croit autorisé à nous faire des remarques pénibles. Je ne dis pas qu’on est tout le temps géniaux, mais a priori on nous a d’abord choisis pour notre maîtrise du français.
    Le pire que j’ai eu, c’est une blogueuse qui a décrété sur un de mes titres que la traduction était tellement horrible qu’elle avait dû reprendre le bouquin en anglais (parce que j’utilisais autant de synonymes que possible pour parler de l’héroïne et parce que l’auteur a eu le malheur de choisir un verbe qui, d’après elle, ne s’accordait pas au héros, mais je n’allais pas changer, quand même !). J’ai ma dose de fans hardcore moi aussi, qui m’en veut de franciser certains noms de personnages parce que c’est pas comme ça qu’ils s’appellent (ben oui mais tout le monde ne comprend pas le jeu de mot dans ce cas…).
    Bref, je pourrais en parler pendant des heures. Bon courage avec ton pensum. Il ne peut pas réécrire directement en français, ton auteur superchiant ?

  9. J’imagine que la copine aux 25% c’est moi? 😀

    Pour ma part, j’ai cessé de me préoccuper de ce genre de remarque depuis belle lurette pour deux raisons. La première, c’est que très souvent, moi aussi, je critique le travail d’autres gens avec plein de bons arguments qui ne tiendraient sans doute pas si j’avais conscience des réalités de leur métier et de ses conditions d’exercice. C’est pas super mais c’est humain. La seconde, c’est que même si j’aime beaucoup mon travail, je me fiche un peu de l’opinion que “les gens” peuvent en avoir. C’est l’éditeur qui me paye. Si lui est content, ça me suffit.

  10. Effectivement, c’est à toi que je pensais. 😉
    En général, j’essaie de me “protéger” des critiques en n’allant surtout pas les lire. Mais comme je n’ai pas franchement confiance en mes capacités, l’opinion des “gens” m’affecte toujours. Je t’admire de parvenir à les ignorer – même si, fondamentalement, je me doute bien que si l’éditeur fait de nouveau appel à moi c’est pour de bonnes raisons !

  11. Ah tiens, c’est plus possible d’imbriquer les réponses aux commentaires ?
    Oh mon Dieu, c’est dur, ce que tu t’es pris. Et je ne me doutais pas que tu doutais – autant – de tes capacités. Je ne crois pas avoir lu une de tes traductions mais si je me fie à ta façon d’écrire, je suis assez certaine qu’elles sont bonnes 🙂
    J’ai souvent l’impression que pour beaucoup, la traduction, c’est l’exercice de thème du secondaire ou universitaire : « regarde t’as vu j’ai mis un max de verbes prépositionnels pour montrer que je maîtrise » et qui s’attendent, dans un texte français, à retrouver un anglais qu’ils connaissent et les flatterait.

    Et pour mon texte, non, c’est monnaie courante. Ce sont de grands groupes internationaux, les gens écrivent tous directement en anglais, puis de petites mains anonymes s’affairent pour traduire vers d’autres langues. Vu la longueur du document, je doute que qui ce soit dans une entreprise ait le temps de passer autant de temps à traduire… ce qui n’empêche absolument pas les remarques de type « j’aurais pu le faire mais… ». Bon, je suis un peu dure là, mais en réalité, c’est relativement bien écrit, juste scolaire (d’où ma remarque sur l’exercice de thème universitaire).

    Allez, je m’auto-censure !

  12. Visiblement, c’est plus trop possible, en effet (oh la vache, la police d’écriture est super claire sur le blog !). J’essaie de comprendre comment ça marche mais je galère encore.

    Je crois que tu as raison pour la “traduction scolaire” : c’est exactement ça !

  13. Juste une remarque personnelle, bien loin du débat plus général de la traduction: j’ai beaucoup de mal avec la “francisation” de certaines expressions ou de certains noms. J’aimerais qu’il y ait au moins une note en bas de page avec le mot original, mais je sais aussi que les notes peuvent alourdir la lecture.
    Là je lis un livre où beaucoup de noms ont été francisés et je n’arrête pas de me demander quel était le mot en anglais. Un exemple: “le centre commercial de la Triste Molle”…

  14. Je suis d’accord avec toi mais, en effet, trop de notes alourdissent le texte. En outre, cela relève souvent d’un choix éditorial, que l’on peut contester mais qui ne dépend pas du traducteur lui-même (ou rarement).

  15. Le pire, dans ce genre de critiques, c’est que le lecteur se focalise souvent sur un détail pour décréter que la traduction est mauvaise dans son intégralité, genre : “Il y avait parfois “ça” au lieu de “cela”, on nous prend vraiment pour des illettrés”…

    Par ailleurs L’Harmattan est depuis toujours à mi-chemin entre l’édition à compte d’auteur et à compte d’éditeur, donc on ne peut pas le considérer comme représentatif des éditeurs français. Ce qui n’empêche pas la tendance générale d’être au fait que l’équipe commerciale prenne l’ascendant sur l’éditorial, mette la pression pour des délais de plus en plus réduits, et qu’on ne se préoccupe plus trop de recruter de bons correcteurs…

  16. Ton analyse est bien vue : en général, c’est un détail qui fera tiquer les lecteurs, alors qu’ils n’auront pas relevé d’autre souci…
    Pour ce qui est de L’Harmattan, je reconnais que j’ai choisi un exemple un peu particulier, mais qu’en effet c’est une dérive qui tend à gagner d’autres maisons d’édition.

  17. Bonjour,

    Je profite de cet article pour te donner enfin mon avis sur l’Austenerie que j’ai gagné sur ton blog il y a… euh… *sifflote*… enfin bref, et dont tu avais assuré la traduction.
    Comme il me semble qu’une de tes réponses à un commentaire évoque un blogueuse qui avait critiqué cette traduction, je me suis dit que c’était le bon moment te dire ce que, personnellement, j’en avais pensé.

    Il s’agissait donc d’ “Insaisissable Mr Darcy”, je le rappelle.
    Pour ma part, j’ai été un peu embrouillée au début, entre “Fitzwilliam Darcy” et “Patrick Fitzwilliam” lorsque les deux cousins vont chez la vieille bique (mais c’pas ta faute si le nom de l’un est le prénom de l’autre).
    Comme j’avais lu (enfin écouté en livre audio) “Orgueil et préjugés” pas si longtemps avant ce roman, j’ai réussi à remettre les personnages et relations dans le contexte et ce livre a tout simplement fait fondre mon cœur de midinette.

    Au final, je suis bien contente de l’avoir gagné chez toi et je n’ai rien à reprocher à la traduction :p) 🙂

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