Quand soudain…

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Des semaines que je me prends la tête. Que dis-je, des mois. A tourner et retourner les mots, les situations. A me dire que, promis, demain j’y verrai plus clair dans mon histoire et j’arriverai à l’ordonner.
J’étais rentrée remontée à bloc de la convention RWA, prête à faire des étincelles, et… rien. Pas une phrase, pas un mot. Et je m’étais juré d’envoyer mon synopsis d’ici fin septembre. Quand soudain, dimanche à 6h30 du matin, tout le scénario s’est mis en place dans ma tête. Les protagonistes, le conflit, l’histoire, la résolution, l’introduction des personnages secondaires… Un dimanche matin, alors que j’essayais en vain de me rendormir parce que, pour une fois, la Crevette faisait la grasse matinée.

Parfois, j’aimerais qu’on me fournisse le mode d’emploi de mon cerveau.

Des effets physiques de l’écriture

Lundi, lorsque j’ai claironné que j’avais enfin achevé mon nouveau roman – techniquement, vous n’avez pas pu passer à côté de l’information – plusieurs personnes m’ont dit : “Tu dois être soulagée, maintenant”.
En fait… pas tant que cela.

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J’ai souvent entendu des auteurs raconter qu’ils avaient un sentiment de vide une fois le texte couché sur le papier. A titre personnel, j’éprouve plutôt une sorte d’euphorie qui pourrait presque s’apparenter à une crise maniaque : je suis épuisée, j’ai l’impression que des étincelles me parcourent le corps, j’ai envie de chanter à tue-tête et de danser… En même temps j’ai mal au crâne, comme si je payais toutes ces heures passées devant l’écran. Et quatre jours après, je dois toujours me forcer à desserrer les dents.

En période d’écriture, j’ai toujours l’impression que mon cerveau va plus vite que le reste. Il m’est impossible d’écrire au fil de ma pensée, je ressemble au lapin blanc d’Alice…
Avec le temps – c’est quand même mon troisième roman, je commence à piger le truc – je me rends compte que la clé réside dans le lâcher-prise. Ce n’est pas un hasard si mes meilleures scènes se déroulent dans ma tête au moment où je vais fermer les yeux… Si me retrouver au pied du mur cette fois-ci a sans doute amplifié le phénomène, je l’ai constaté à chaque fois.

Bon, après, je passerai sous silence les autres effets physiques de type prise de poids pour cause d’orgie de chocolat “pour me donner du courage” et cernes incrustés sous les yeux parce que j’ai pas assez dormi…

NaNoWriMo – Meet & greet

Dans le petit monde de l’écriture – et surtout de l’écriture “de l’imaginaire” – il est un événement qui commence à être un peu connu : le NaNoWriMo, acronyme de National Novel Writing Month. L’idée, d’origine américaine, consiste à écrire un roman en un mois, celui de novembre. Ce système repose sur une communauté très dynamique, qui s’encourage mutuellement et s’entraide, et profite du fameux mois de novembre pour faire des sessions d’écriture communes.

NaNo

Samedi, le groupe de Paris organisait un “meet & greet” (un accueil, quoi), ouvert aux inscrits de la région, et auquel j’ai été conviée en tant qu’auteur (si, si) avec Alice Scarling. Sur la vingtaine de participants présents, une grosse majorité de filles, une moyenne d’âge tournant autour de 25-30 ans dirais-je, et beaucoup de projets en rapport avec la SF, la fantasy, le space opera et la fanfic. Mais bon, il y avait aussi des projets de “littérature générale”, de littérature pour enfant ou de romance, par exemple. L’ambiance est détendue et sympathique, on fait des blagues, on se charrie gentiment, on parle de ses expériences… J’avais beau ne connaître personne (Alice avait 45mn de retard), je me suis tout de suite sentie acceptée.

Pour la peine, je vous fais un bref rappel des conseils d’écriture que nous avons distillés (sachant que je ne suis pas NaNoteuse, mais qu’Alice, si).

  • Quoi qu’il arrive, il faut continuer à écrire. Plus on s’arrête, plus ce sera dur de s’y remettre.
  • En cas de panne, essayer d’écrire sur d’autres supports (blog, journal intime) ou d’autres sujets peut aider à débloquer.
  • A titre personnel, j’estime que l’organisation est nécessaire : faire un synopsis et un plan, plus ou moins détaillé selon votre façon de travailler, est franchement utile.
  • Ne pas hésiter à trouver des bêta-lecteurs, voire à leur promettre un certain nombre de chapitres / mots pour telle date, et s’y tenir.
  • Si on ne tient pas la date limite ci-dessus, devoir s’amender (invitation à dîner, amende en bonbons, que sais-je…).
  • Prendre du plaisir, parce que sinon, ça devient un pensum et ça n’a plus d’intérêt.

Bonne chance à tous !

Je tiens par ailleurs à remercier Misato et Laure-Isabelle pour leur invitation et leur accueil.

L’écriture, cette emmerdeuse

Il y a quelques semaines, je discutais brièvement avec un ami qui exprimait sa curiosité sur les raisons du long hiatus (quasiment trois ans et demi, quand même) de ce blog.

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Je n’ai pas décidé volontairement d’interrompre mes publications – je n’y avais même pas songé, pour être honnête. En revanche, plusieurs événements, pas forcément liés, se sont conjugués et ont fini par avoir raison de mon envie d’écrire.

  • Depuis mars 2010, j’ai entamé une reconversion professionnelle dans la traduction littéraire (je travaillais le soir et le week-end chez moi). Le souci, c’est que certains de mes collègues du boulot “officiel” lisaient ce blog et que je n’avais pas envie d’être interrogée à la machine à café sur mes activités. Même si ça n’empiétait pas sur mon travail, on aurait toujours pu s’interroger sur ma motivation (très médiocre, il faut bien l’avouer) ou sur ma charge de travail (très fluctuante mais en expansion massive depuis fin 2008). Du coup, alors que j’aurais aimé aborder ce sujet, je me suis complètement auto-censurée.
  • Conséquence de cette reconversion, ma vie sociale et culturelle s’est méchamment cassé la figure. Forcément, quand on bosse toute la journée et qu’on en remet une couche tous les soirs (sauf le jeudi pour la soirée médiévale) et le week-end, on est crevé et on préfère regarder la télé que se traîner dehors.
  • En mai 2010, l’Anglais m’a demandée mariage (la cérémonie a eu lieu un an plus tard), mais je refusais d’en parler en ligne, car j’estimais que cela relevait trop de la sphère privée. Du coup, cela faisait encore un sujet de censure !
  • Je m’étais fixé un quota de deux à trois articles par semaine, mais j’avais de plus en plus de mal à remplir cette condition. En outre, c’était devenu une corvée de toujours penser à ce dont je pourrais parler. Quand il n’y a pas de plaisir, cela ne sert à rien de s’acharner.
  • Mais le plus gros déclencheur, que je ne m’explique toujours pas complètement, a été le voyage au Japon effectué avec une amie en novembre 2010. Elle m’avait demandé de lui servir de guide, moyennant quoi je voyageais à ses frais (si). Le souci, c’est que cela faussé la relation qui ne pouvait plus tout à fait être amicale, vu que l’une était redevable à l’autre (à mon sens). Du coup, je me pliais avec plus ou moins de bonne grâce à ses exigences, tout en n’était pas toujours la plus aimable.
    L’autre souci, c’est que cette amie, qui attendait ce voyage depuis quinze ans, a très mal vécu ce séjour : la ville grouillante et indifférente (Tokyo, c’est immense, moche et déboussolant, même si c’est une ville géniale à vivre), la perte totale de repères, que ce soit physiques (le soleil se lève à 5h du mat et se couche à 18h dernier carat), linguistiques ou humains, le décalage très fort entre le Japon fantasmé et le Japon réel (c’est un vrai problème, un peu comme pour les Japonais qui arrivent à Paris en fantasmant sur “Amélie Poulain”)… Je crois qu’elle a très difficilement supporté le fait d’être quasi-entièrement dépendante de moi, elle qui a toujours été autonome et celle sur laquelle on se repose.
    A notre retour, on ne s’est plus parlé, et les choses ne se sont jamais vraiment améliorées. On ne fait plus que se croiser, on se salue, on échange les dernières nouvelles et c’est tout. J’ai vécu ce voyage comme un véritable échec personnel, car je me découvrais incapable de faire aimer ce pays que j’adore à quelqu’un qui était déjà presque converti. A l’époque, j’étais censée passer un entretien peu après notre retour, pour une agence spécialisée dans les voyages très orientés culture, mais je n’y suis jamais allée.

Et puis, insidieusement, ça a recommencé à me travailler. J’avais de nouveau envie de parler sur ce blog, mais je me retenais en me disant que ça demanderait beaucoup de temps et d’investissement. Surtout qu’autour de moi, la quasi-totalité de mes copines se mettaient à écrire ! Et voilà, un beau jour de juin, j’ai fini par décréter qu’il fallait que je m’y remette maintenant-tout-de-suite.
Pourquoi ce déblocage ? Alors là, bonne question…

Tag, tag, tag

Suite au tag d’Imihel, je me vois dans l’obligation de vous raconter de manière littéraire un moment de ma vie quotidienne. L’essence d’un blog, en quelque sorte.


Une fois de plus, c’est moi que le sort a désignée pour garder les lieux de labeur ce midi. La tradition veut en effet que les certaines recrues – d’aucuns disent les plus avenantes, mais ils semblerait qu’il s’agisse des subalternes – assurent la communication avec l’extérieur quand le gros des troupes part se restaurer.
Me voilà donc seule, dans les locaux désertés. L’été et la faim ont poussé tous mes collègues dehors, me voici maîtresse des lieux pour une heure ou deux. Paresseusement, j’abandonne mes chaussures et arpente un peu les couloirs. Sensation délicieuse de la moquette sous mes pieds nus en pleine journée. Je grignote un peu, tout en me livrant à mon activité favorite : la revue de presse sur la toile.
Le silence m’enveloppe peu à peu. C’est l’heure creuse, l’heure absente, où rien ne presse et rien n’avance. De l’extérieur parviennent des voix d’enfants, des odeurs de nourriture. D’un seul coup, me voici projetée hors de mon cadre quotidien. Le temps s’est arrêté, les minutes s’égrennent avec lenteur, presque désoeuvrées dans cette fourmilière à présent vidée.
Mais soudain le téléphone sonne, une porte claque, des rires fusent. Le temps a repris son cours.

La réponse de l’Anglais

Bonne lecture… A suivre, la réponse d’Ei.


Je suis épuisé… Essayez de suivre pendant deux jours une marche forcée avec les fers aux pieds et les mains liées. Alors quand en plus on a une constitution comme la mienne ça relève de l’exploit. Ils me sont tombés dessus il y a deux jours alors que je me reposais tranquillement sur un coté de la route, sans me laisser le temps de m’expliquer, ils m’ont intégré à un groupe d’hommes et femmes prisonniers, qui m’ont tous regardé avec méfiance, refusant de me parler. Depuis ils me frappent dès que j’ouvre la bouche, alors je me tais. Quand je suis tombé il y a quelques heures ils ont frappé dans mes côtes à coups de pieds. On m’a traité de barbare, mais au moins chez nous les prisonniers sont mieux traités que ça, ne serait-ce que pour qu’ils puissent venir grossir les rangs de nos hordes.
Nous débouchons dans une clairière, aménagée en campement. Rien à voir avec nos forteresses, cette odeur… Ah enfin, je l’ai retrouvée… Oui ma compagne de toujours, c’est son odeur, enfin… Après tant de recherches j’ai enfin pu la retrouver, elle me manquait tant que j’ai quitté mes steppes et ma taïga.

Les soldats me conduisent vers une femme, lui tend mon bâton et ma dague. « On a trouvé ce barbare à deux jours de marche en direction d’Aoni, sans doute un espion, dans le doute on a préféré vous l’amenez pour l’interroger … » Je ne prête plus attention a leur paroles vides de sens. Je sens mon apparence provoquer attirance et répulsion à la fois. Ma tunique noire à bordures rouge sang ainsi que ma cape ornée d’une peau d’un loup des neiges, avec ma peau au teint blafard et mes cheveux noirs qui retombent devant mes yeux gris. Mon regard se fixe sur la tente derrière eux. Ca y est je t’ai retrouvée, ma compagne de toujours.

Je suis Evgueiev de la tribu des Ashakry. Je viens de ces contrées du Nord Est, où les hommes sont vêtus de fourrure et où les enfants apprennent à manier la hache dès 8 ans. Nos guerriers sont des géants de 2 mètres dont les hurlements et la charge ferait trembler n’importe quelle armée entraînée. C’est sûr que quand tu en fais qu’un mètre soixante comme moi et que tu boîtes un peu, tu risques plus de finir comme cuisinier ou paysan pour approvisionner les troupes. C’était sans compter sur un soutien du destin puisque mon oncle, Iegor, était l’un de nos sorciers. Quand mes cousins ont commencé à jouer avec leurs haches en bois, Iegor est simplement venu voir mes parents et ma confié un bébé lynx. Il m’a dit d’en prendre soin comme si c’était mon frère, ce que j’ai fait. Quand il a considéré qu’il était temps pour moi de devenir son apprenti, il m’a fait l’égorger. Il paraît que ce jour-là mes yeux noirs sont devenus gris, moi je ne me souviens plus. Pour moi c’est ce jour-là que je L’ai rencontrée, ce jour où ma tribu a appris que je serai leur prochain sorcier de la mort, ou nécromancien comme disent les « civilisés » avec cette once de terreur dans la voix.

Mon frère lynx ne m’a jamais quitté depuis, son crâne sert de boucle à ma besace, qui contient mes parchemins d’études. Ses pattes sont le manche de ma dague que le soldat tend à sa maîtresse, avec une lame d’acier ashkary, après tout je suis quelqu’un d’important chez moi. Pendant presque 12 années j’ai vécu avec la mort, compris sa méthode, son ironie. Je ne la crains plus, un jour nous nous retrouverons pour de bon, comme tous ces gens ici, ce garde arrogant, ces paysans affolés, cette jeune commandant, j’esquisse un sourire ironique, il se battent mais au final eux, leurs ennemis, tout le monde tombera.

Aujourd’hui je peux commander aux corps et aux esprits morts, je n’ai pas le talent de mon oncle mais cela viendra. Il y a 6 mois Iegor m’a fait entrer dans son ultime refuge, il semblait épuisé. Il m’a dit que la mort sa compagne de toujours avait abandonné la contrée et qu’il sentait ses forces s’épuiser, il m’a dit de partir à sa recherche, en me confiant ce bâton surmonté d’une pierre blanche. Depuis j’ai exploré leur « royaume », et cherché en vain jusqu’à ce matin.

Mes lèvres esquissent un sourire fatigué, la jeune femme s’approche de moi, mon bâton noir dans une main. Lorsqu’elle est à moins d’un mètre de moi, une flamme froide et verte entoure la pierre…

Quand elle se tient devant moi, je ne lui laisse pas le temps de commencer à parler…

« Je suis Evegueiev, de la tribu Ashkary et je ne suis pas votre ennemi. »

Le camp

Une fois n’est pas coutume, j’en appelle à mon lectorat, peu nombreux, certes, mais fidèle. Je souhaiterais reprendre une idée d’Ei : le feu de camp littéraire. Je m’explique : il s’agit de mettre un texte en ligne et de vous le faire poursuivre, en mettant en scène vos “avatars”, autrement dit un personnage auquel vous pourriez vous identifier, voire le personnage que vous vous êtes construit (suivez mon regard). Mon propre avatar est bien connu de certains, et je compte beaucoup sur la participation d’Imihel.
L’histoire se déroule dans un univers med-fan assez simple, mais n’hésitez pas à me demander des détails. Enfin, je précise que l’Anglais et Ei ont déjà répondu, puisque l’idée date d’il y a bien deux mois, donc je vous demanderai d’attendre que j’aie posté leurs textes pour commencer les vôtres.
Même si vous ne voulez pas continuer l’histoire, je serais ravie d’avoir vos commentaires (“c’est bien” “c’est pourri” et toute cette sorte de choses).


Le soleil se lève à peine. Dans la fraîcheur du petit matin, je parcours le camp qui s’éveille lentement. La journée promet d’être magnifique, un jour éclatant. Instinctivement, je me tourne en direction d’Aoni, la ville bleue, le cœur du royaume, l’âme de notre peuple. La ville aux reflets célestes est la plupart du temps hors de vue, mais par temps très clair, je peux deviner la lumière si particulière qui en émane. Il y a si longtemps que je ne l’ai vue… Une pensée funeste hante parfois mon esprit, une pensée que je tente de repousser fermement : peut-être ne la verrai-je plus jamais, ou n’en verrai-je que les vestiges. Mais rien de cela aujourd’hui : la lumière est éclatante et, encore une fois, je m’efforcerai de distinguer les contours bleu opalescent de ma cité.

La rumeur qui monte du camp augmente doucement : les soldats s’éveillent, les gardes se relaient, partout la vie quotidienne s’organise. Mes pas me conduisent presque inconsciemment jusqu’à notre infirmerie, où s’affairent déjà plusieurs guérisseurs. Le plus âgé d’entre eux me salue d’un vague signe de tête et me désigne silencieusement celle que je suis venue voir. Une de nos plus jeunes recrues, pas plus de quinze ans. Elle n’a pas repris connaissance depuis qu’on l’a retrouvée voici trois jours, égarée à plusieurs dizaines de lieues d’ici après avoir perdu son groupe. Je ne peux m’empêcher de maudire cette guerre que je n’ai pas voulue, cette guerre qui me force à envoyer des enfants auprès de nos ennemis et qui les tue. Cette guerre que je mène malgré moi, mais qui me fait sacrifier des innocents. Un rapide regard me convainc que je n’ai plus rien à faire ici pour le moment. Ils me préviendront quand elle se réveillera ou que nous devrons honorer sa mémoire.

Dehors, la lumière m’éblouit un instant, contrastant avec la pénombre où j’étais réfugiée. Le jour est totalement levé, le camp tout à fait éveillé et en train. Chacun vaque à ses occupations avec plus ou moins d’entrain. Les adultes ont le visage fermé, certains encore engoncés dans des cauchemars que nous revivons tous, nuit après nuit ; mais les enfants crient et jouent comme ils en ont l’habitude, leur gaîté nous gagne peu à peu. Ce camp ressemble de plus en plus à une immense ville de toile et de planches. Chaque jour apporte son lot de réfugiés ou de combattants. Bientôt nous devrons nous séparer, envoyer les plus vulnérables vers le sud, tandis que les guerriers se regrouperont ici.

Des visages familiers me saluent, des civils pressés me frôlent tout en prenant garde à ne pas m’effleurer, jusqu’à ce qu’une femme âgée s’approche suffisamment pour me prendre la main et la porter à son front, en signe de respect. Rien ne me distingue pourtant des autres soldats rassemblés ici : la même tenue de toile, le même plastron de cuir, les mêmes armes ; seule me distingue la pierre bleue qui scintille à mon cou, même dissimulée dans les plis de ma chemise. Ce bleu qui fait la fierté d’Aoni, ce bleu symbole du royaume. Mon royaume.

Mon nom est Caïtness, fille d’Eternité. Aujourd’hui ce titre, qui me désigne héritière du royaume d’Ehenea, n’a plus de sens. Le royaume envahi, les souverains assassinés, la capitale livrée au pillage et aux soudards, tel est mon héritage. Mes parents disparus, je suis devenue la nouvelle reine, mais une reine sans royaume, en fuite, son peuple dispersé dans les provinces les plus reculées et les royaumes avoisinants, une reine seule, sans appui ou presque. Voilà plus d’un an que je consume mes forces à récupérer mes terres, à tenter de soulager la souffrance des miens, mais mes moyens sont si dérisoires… Parfois, j’ai envie de céder au découragement, de cesser de me battre, mais je n’en ai même pas le droit.

Un bruit s’élève soudain de la lisière de la forêt. Ce sont nos guetteurs qui nous préviennent d’un danger. Habituée à ce genre d’alerte, la population du camp se met à l’abri, tandis que les soldats prennent leurs positions, que ce soit pour attaquer les visiteurs ou pour protéger les nôtres. Plusieurs flèches fichées en terre nous apprennent l’arrivée d’un groupe d’une dizaine de personnes. Puis un cri :

« Mettez vos armes en évidence ! Disposez-vous en ligne ! »

Ce groupe est étrange… Il est formé de personnes hétéroclites, mais il ne ressemble pas à un de ces groupes de réfugiés ou de volontaires que nous accueillons si souvent. Entourée de quelques-uns de mes hommes, je vais à la rencontre des arrivants pour en apprendre plus sur leurs identités et leurs intentions.