Le lac des cygnes

Difficile de se prétendre amatrice de danse classique sans avoir jamais vu ce ballet iconique – or c’était mon cas. J’avais quelques souvenirs d’une diffusion télévisée que j’avais fait enregistrer à ma mère il y a pas loin de 25 ans (à vue de nez, ce devait être une troupe russe, genre le Bolchoï), mais sans plus.

En voyant les réserves émises par Danses avec la plume sur le choix du cast, et notamment sur l’interaction entre les danseurs, j’étais un peu inquiète, je le reconnais, mais le problème du ballet, c’est qu’on ne peut pas savoir un an à l’avance quel rôle sera attribué à qui. Hier soir, il y avait donc Amandine Albisson en Odette/Odile, Mathieu Ganio en Siegried et François Alu en Wolfgang/Rothbart. Si j’avoue mal connaître la danseuse, Ganio ne m’est pas inconnu (surtout que la Crevette est fan de la version de Coppélia qu’il a dansée quand il était élève à l’Ecole de Danse), et je suis un peu groupie de François Alu depuis une Bayadère incroyable.

Le ballet est très beau, même si je l’ai trouvé un peu daté dans certains costumes (ah ces harmonies de violet et d’orange qu’on n’oserait plus aujourd’hui…). La relecture de Noureev, très freudienne, qui souligne l’importance du refoulé et du rêve, m’a beaucoup parlé, et apporte de la profondeur à ce classique des classiques.
Mathieu Ganio est d’une très grande élégance, il a tout du prince de ballet (ou de conte de fées), mais en parvenant à instiller le doute et l’ambiguïté. Ses duos (peut-on parler de pas de deux ?) avec François Alu étaient remarquables, car soulignant la dépendance psychologique et émotionnelle du prince à cette figure tutélaire parfois maléfique du précepteur/sorcier.


François Alu, justement, est très bien, proposant une danse affirmée et maîtrisée, qui colle aux personnages qu’il incarne. Son unique grand pas (j’espère que j’utilise le terme à bon escient…) est magnifique et lui a valu une ovation parfaitement justifiée.
Amandine Albisson, quant à elle, m’a un peu laissée sur ma faim. Si elle a eu de véritables moments de grâce, il me semble l’avoir vue trébucher au début du deuxième acte, et avoir mis du temps à s’en remettre. Etrangement, elle m’a semblé plus à l’aise dans le rôle du cygne noir, où sa danse avait une nuancé légèrement “cassante” et agressive qui convenait davantage au personnage. L’impression globale de la soirée est que, sans démériter, elle a été très appuyée par les deux danseurs qui semblaient plus à l’aise dans leurs rôles.

Parmi les autres temps forts de la soirée, il y a eu le pas de quatre des petits cygnes, absolument époustouflant : les danseuses ne semblaient faire qu’une. Les danses de caractère, quant à elles, ont apporté une touche de lumière à ce ballet plongé dans les teintes froides quasi éblouissante (le deuxième acte a un côté hypnotique contre lequel il est difficile de lutter !).

Au final, j’ai passé une très bonne soirée, mais peut-être que d’autres interprètes auraient permis une représentation exceptionnelle.

Le lac des cygnes, Opéra Bastille, jusqu’au 31 décembre

Récital Dmitri Hvorostovsky

dmitri-hvorostovsky-theatre-du-chatelet-paris-01Quand votre binôme d’opéra (coucou Leen !) commence à vous surnommer “partner in crime”, c’est sans doute que vous tirez un peu sur la corde. Il y a 10 jours, au sortir des Contes d’Hoffmann, nous sommes passées devant une affiche annonçant le récital de Dmitri Hvorostovsky au théâtre du Châtelet la semaine suivante, et Leen s’est mise à faire des bonds de cabri en disant qu’il fallait absolument qu’on essaie de dénicher des places. Coup de bol, grâce à une opération spéciale sur le site de la Fnac, elle nous en a dégoté deux en première catégorie à moitié prix. Jeudi dernier, donc, nous voilà très bien placées en corbeille, sans poteau, et c’est parti.

Dmitri Hvorstovsky est un baryton russe originaire de Sibérie, qui a remporté de nombreux prix, notamment celui de “Singer of the World” en 1989. Surtout, son histoire récente est une belle leçon de vie : diagnostiqué à l’été 2015 d’une tumeur au cerveau, il accomplit actuellement son retour sur scène. On pouvait donc se poser la question de sa prestation et son endurance sur scène…

Le programme du récital appuie son nouvel album, et est consacré à des pièces de Glinka, Rimski-Korsakov, et Tchaïkovski, ainsi qu’à des lieder de Richard Strauss. Le thème récurrent en est l’amour, la tristesse, la beauté… A certains égard, cela m’a rappelé le concert de Diana Damrau de mars dernier.
Sur scène, Hovrostovsky a une présence imposante, à la fois due à sa carrure et sa chevelure toute blanche, mais aussi à l’espèce de calme et de maîtrise qu’il dégage. Passée la première adaptation nécessaire (pour moi) d’entendre un baryton chanter accompagné du seul piano, on est complètement happé par cette voix grave capable de susciter des émotions incroyables. De la tristesse à l’élan de joie, de l’introspection à l’exubérance, on tremble, on vibre, on sourit, on pleure au gré de ses notes.
Hovrostovsky est un personnage en soi, qui joue un peu de cette image, mais sans non plus trop en faire. A titre personnel, j’ai été transportée sur la dernière pièce de Tchaïkoski, “Première rencontre”. Rien que pour cet air, le concert en valait la peine. L’ultime rappel, un air de Iago dans l’Othello de Verdi m’a confirmé ce que je soupçonnais depuis le début du récital : il faut absolument qu’on aille l’écouter dans un opéra.

Les contes d’Hoffmann

Un soir d’opéra, Hoffmann, attendant la fin de la représentation pour retrouver sa bien-aimée, la cantatrice Stella, raconte à ses amis dans une taverne l’histoire de ses trois amours malheureuses. Accompagnée de sa muse qui a pris les traits de son meilleur ami Nicklausse, il voyage dans un passé peut-être fantasmé pour narrer ses aventures avec la marionnette Olympia, la chanteuse Antonia et la courtisane Giuletta. En arrière-plan, se dresse la silhouette menaçante du conseiller Lindorf qui change de visage pour incarner la némésis d’Hoffmann…

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Unique opéra d’Offenbach, maître incontesté de l’opéra-bouffe et de l’opérette (qui n’a jamais entendu l’air de La vie parisienne ?), cette oeuvre est considérée généralement comme sa “rédemption”. Force est de constater que si l’on retrouve la patte du compositeur, la partition s’avère particulièrement complexe et l’histoire moins bouffonne qu’on ne pourrait s’y attendre.

J’ai adoré ce spectacle. La mise en scène – qui date de 2000 mais n’a pas pris une ride – est géniale, mettant en place un théâtre dans le théâtre, un arrière du décor convaincant et intéressant. La question de savoir si Hoffmann se promène dans les chimères de l’opéra en attendant sa belle se pose, de même que celles des apparences trompeuses, en particulier avec Olympia, ou de la passion qui se donne en spectacle avec Giulietta. Les changements de décors sont bien faits, fourmillant de détails et propices à la mise en abîme, comme à l’humour.

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Comme toujours, la direction musicale de Philippe Jordan est impeccable (bon, je ne suis sans doute pas objective, mais quel homme, quand même). C’est enlevé, piquant mais aussi profond. Les chœurs, là encore, sont remarquables et s’amusent visiblement sur scène, en particulier dans la taverne. Il est devenu, semble-t-il, systématique que les chœurs saluent à la fin, et c’est une excellente chose.

Mais la grande question est celle des solistes : Jonas Kaufman, qui devait interpréter le rôle-titre, s’est retiré pour cause de problème aux cordes vocales. Il a été remplacé, au grand dam des amateurs, par Ramon Vargas que nous entendrons plus tard cette année dans La fille de neige. En réalité, c’est la raison pour laquelle nous avons décroché des places, car beaucoup de déçus cherchaient à revendre.

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Très franchement, Vargas s’en est parfaitement tiré. J’ai eu un doute sur les premières notes, mais il a assuré, tant dans l’interprétation que dans le chant, alors que la salle ne lui était pas acquise d’emblée. Le reste du cast n’était pas en reste : si un triomphe attendu (et un peu surfait, selon moi, car je ne suis pas très fan de son vibrato prononcé) a été fait à Ermenela Jaho, qui interprétait Antonia, j’ai eu deux révélations féminines et une masculine.
Stéphanie d’Oustrac, qui incarne la Muse d’Hoffmann et fait contrepoint au héros, était parfaite. Enlevée, drôle, compatissante, ironique… un vrai bonheur. Nadine Koutcher en Olympia est géniale et impressionnante, parvenant à lancer des notes ahurissantes tout en conservant sa gestuelle très mécanisée et saccadée. J’ai très envie de l’entendre dans d’autres rôles.
Enfin, Roberto Tagliavini, qui incarne tous les méchants, de Lindorf à Dapertutto, m’a complètement charmée (en même temps, j’aime les voix graves). Un beau timbre, beaucoup de prestance et une capacité à passer d’un personnage à l’autre en l’espace de quelques instants.

En conclusion, courez-y, c’est bien, on passe un excellent moment, c’est drôle et grave, amusant et pertinent, et c’est chanté en français.

Les contes d’Hoffmann, du 3 au 27 novembre, opéra Bastille

Samson et Dalila

En Palestine, les Israélites sont réduits en esclavage par les Philistins, mais cherchent à se libérer de ce joug. Samson, l’un des guerriers israélites, mène un soulèvement qui s’avère dangereux pour leurs oppresseurs. Ces derniers se tournent alors vers Dalila, qui fut autrefois l’amante de Samson, pour apprendre le secret du héros et le réduire à l’impuissance…

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Tout le monde connaît l’histoire de Samson et Dalila, donc inutile que je continue de poursuivre le résumé. Cet opéra de Camille Saint-Saëns effectue son grand retour à l’Opéra de Paris après vingt-cinq ans d’absence. Je n’y connais rien à l’oeuvre du compositeur (c’est un peu un leitmotiv de la saison cette année, j’y vais le nez au vent), mais le propos semblait intéressant et Leen était très enthousiasmée par la voix de la mezzo qui interprète Dalila.

Allez, pas de suspense : c’est très beau. La musique est magnifique et très bien dirigée par Philippe Jordan qui confesse, dans le programme, son coup de foudre pour le compositeur et sa capacité à synthétiser différentes influences. Et force est de constater le génie de Saint-Saëns, qui charme, raconte, suscite toute une palette d’émotions qui m’ont transportées.

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Anita Rachvelishvili dans le rôle de Dalila est superbe. Outre que c’est agréable d’entendre une mezzo dans un rôle principal, il faut surtout souligner sa voix tour à tour puissante, légère ou vive, capable d’accents enjôleurs comme de la froideur la plus cruelle. Face à elle, Aleksandr Antonenko a été plus lent à démarrer : moyennement convaincant dans le premier acte – sa voix ne semblait pas assez “chauffée” – il gagne en peu à peu en puissance, jusqu’à exploser dans la magnifique lamentation qui ouvre le troisième acte.
Les seconds rôles, en particulier Nicolas Cavallier dans le rôle du vieillard hébreu, ne sont pas en reste. Si Egils Silins – déjà vu dans La Walkyrie – était parfois un peu couvert par l’orchestre, on sent toutefois qu’il s’amuse dans ce rôle de méchant cruel et calculateur. Enfin, les chœurs étaient fantastiques. Depuis quelques années, j’ai l’impression que leur niveau a beaucoup augmenté (ou alors j’y prête davantage attention), et cette fois encore, c’était à la hauteur. Les chœurs sont essentiels à cette oeuvre et ont grandement contribué à faire de ce spectacle une réussite.

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Un bémol néanmoins : la mise en scène. Le principe de Damiano Michieletto était de défaire les personnages de leur appartenance religieuse pour se concentrer sur l’humain, ce qui est sans doute une bonne idée. Toutefois, il aurait peut-être fallu ne pas souligner à gros traits l’aspect totalitaire et fascisant des Philistins et, en particulier, nous épargner l’horrible scène de pogrom du premier acte. Celle-ci m’a mise tellement mal à l’aise que j’en ai pleuré, et me suis demandé si j’allais devoir sortir avant la fin. J’ai trouvé ce genre de symbolisme lourd et inutile. Les second et troisième actes étaient meilleurs, mais cette représentation a gardé un goût amer tout du long.

Samson et Dalila, Opéra Bastille, jusqu’au 5 novembre

Eliogabalo

A Rome, l’empereur Eliogabalo suscite l’indignation par son comportement : il cherche à séduire toutes les femmes, avec ou sans leur consentement, se comporte de façon excentrique et indigne. Tentant d’assouvir ses désirs au mépris des conventions sociales et politiques, l’empereur se met peu à peu la cour et le peuple à dos, tandis que la révolte gronde…

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Voilà, à très gros traits, la trame de cet opéra, qui met aussi en scène deux couples d’amoureux contrariés, une nourrice retorse, un sous-fifre affreux et une jeune fille innocente, dans la plus pure tradition de l’opéra baroque italien. Cavalli a créé cet opéra pour le carnaval vénitien, mais l’oeuvre ne fut jamais montée de son vivant. Vite tombée dans l’oubli, elle ne fut ressuscitée qu’en… 1999 ! C’est cette année son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris.

Par où commencer ? Peut-être par le plus évident : la musique. Dès les premières notes, exécutées avec brio par l’orchestre Cappella Mediterranea, on retrouve tous ces motifs propres au 17ème siècle, ces envolées que ne peuvent évoquer que les instruments anciens. Tout de suite, j’ai eu l’impression d’entendre la parfaite synthèse entre Monteverdi et Lully, sentiment qui ne s’est pas démenti un seul instant.
Les chanteurs interprètent leurs personnages avec une force et une conviction poignantes. A ma grande surprise, deux rôles masculins d’importance – Eliogabalo et Giuliano – étaient interprétés par des haute-contre. Non que le recours à ce genre de voix soit rare, mais deux dans une seule oeuvre, je ne crois pas en avoir déjà entendu. Je pourrais englober l’intégralité de la distribution dans mes louanges tellement j’ai été transportée dans cet opéra – alors qu’en arrivant, je me suis quand même dit : “3h40, ça va être long”.

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Mais au-delà de l’interprétation, il faut souligner l’importance du travail de Thomas Jolly, le metteur en scène, dont c’étaient les premiers pas à l’opéra. En fouillant dans ce qu’il qualifie de “légende noire” du personnage – historique – d’Héliogabale, il nous livre une vision toute en nuances de ce personnage et du propos de l’oeuvre. Car au final, c’est un opéra qui pose beaucoup de questions sur le genre, l’identité, sur ce qui définit un personnage comme “efféminé” ou pas, sur le chaos ou l’ordre…
La mise en scène est d’une grande intelligence et d’une grande modernité, autour d’un élément de décor toujours en mouvement, symbolisant les différents lieux de l’histoire. J’ai adoré également les “effets spéciaux” comme le bain d’or (je n’ai toujours pas compris comment c’était possible) ou le vol de chouettes. Le jeu de lumières, créé par Antoine Travert, suggère d’un simple rayon une salle à colonnes, un emprisonnement mental, un soir de fête… ces lumières, partie intégrante de la pièce, ont été une véritable révélation pour moi.

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Les costumes de Gareth Pugh ne sont pas non plus en reste tant ils soulignent l’extravagance et la décadence du personnage d’Eliogabalo et de ses comparses. A l’inverse, le dépouillement de personnages “droits” comme Alessandro et Gemmira n’exclut par forcément le gore ou la déviance.
Au final, c’est un spectacle entier, une relecture hyper moderne d’une pièce dont le propos, semble-t-il, est plus d’actualité que jamais, et dont la musique et les interprètes m’ont transportée. 3h40, certes, mais qu’on ne voit pas passer et dont on ressort à la fois léger de tant de beauté et grave de toutes ces réflexions.

Eliogabalo, Palais Garnier, jusqu’au 15 octobre

L’American Ballet Theatre à l’Opéra de Paris

Cette année, pour la reprise de la saison, nous avions décidé d’innover sur deux points : d’abord en ouvrant 2016-2017 par un ballet (nous n’allons en voir qu’un ou deux par an), lequel était en outre interprété par une compagnie invitée, l’American Ballet Theatre. Cette compagnie de danse américaine est très réputée et ne s’était pas produite en France depuis longtemps.
Au programme, un ballet très classique à l’histoire forcément connue : La Belle au bois dormant.

belle au bois dormant

Sur une musique de Tchaïkovski, le chorégraphe Alexei Ratmansky a décidé de revenir au plus près de la chorégraphie et de la mise en scène de Marius Petipa, à l’origine de La Belle au Bois dormant. Les costumes et décors sont, quant à eux, très inspirés de ceux créés par Léon Bakst en 1921.

Le résultat est superbe à tous points de vue. La musique est belle et, pour ceux qui ont visionné le classique de Disney dans leur enfance, a un air de déjà entendu (il est évident que des phrases musicales ont été “prélevées” dans l’oeuvre pour accompagner le dessin animé). Les décors sont magnifiques et les costumes à couper le souffle, avec une forte inspiration de la France de Louis XIV (le roi s’appelle Florestan XIV), en hommage à Charles Perrault.
L’interprétation, enfin, est parfaitement maîtrisée. Isabella Boylston en Aurore est à la fois touchante et joueuse, appuyée par une technique époustouflante. Josef Gorak en prince n’est pas en reste, avec quelques solos magnifiques. Le reste de la compagnie a été à la hauteur de l’enjeu, chacun évoluant avec grâce, légèreté et maîtrise malgré parfois une foule nombreuse sur scène, qui aurait pu donner une impression d’écrasement. Mention spéciale à Marcelo Gomes en Carabosse et à Jeffrey Cirio en Oiseau Bleu, mes deux coups de cœur de la soirée.
Mon seul regret : ne pas avoir vu danser Misty Copeland dont j’entends parler depuis des années.

Si vous aimez la danse classique dans ce qu’elle a de plus traditionnel et flamboyant, de coloré et de joyeux, courez-y, vous ne serez pas déçus.

Lear

Lear, roi d’Angleterre, exige de ses trois filles Regan, Goneril et Cordelia une déclaration publique d’amour filial en échange d’un tiers du royaume. Si les deux aînées s’acquittent volontiers de cette épreuve, la cadette, Cordelia, s’y refuse, provoquant la colère de son père qui la chasse et la marie au roi de France, laissant les deux autres se partager son héritage. Las, peu après, Regan et Goneril se liguent pour chasser Lear du palais. Ce dernier se retrouve à errer sur la lande par une nuit de tempête et perd la raison…

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Parfois, l’univers vous envoie un signe et vous l’en remerciez : c’est ce qui est arrivé mardi quand, après avoir pesté contre l’annulation du récital de Cecilia Bartoli, j’ai poussé un “ouf” de soulagement car notre ligne de train s’est trouvée totalement interrompue par les intempéries (à l’heure où je vous parle, c’est pas encore résolu). Et puis, parfois, l’univers vous envoie plein de signes que vous négligez : hier soir, j’ai donc bataillé ferme contre le train supprimé, l’absence carte orange (avec la grève, la gare était fermée et les automates inaccessibles), le bus, le métro (trafic ralenti, incident voyageur) et l’ascenseur du Palais Garnier avant de réussir à m’asseoir à ma place, 2 minutes avant le début de la représentation. Je pense que j’aurais mieux fait de rester chez moi. Pour la première fois de ma vie, j’ai quitté l’opéra à l’entracte.

Vous aurez sans doute reconnu l’argument, et pour cause : cet opéra d’Aribert Reimann, composé en 1978, est une adaptation de la pièce éponyme de Shakespeare. A un sujet déjà complexe et dur – la pièce est loin d’être riante – s’ajoute une musique extrêmement contemporaine, essentiellement constituée de cuivres et de percussions, qui exploite au maximum les dissonances. Ajoutez à cela une partition d’une complexité incroyable pour les voix et vous aurez un résultat…à glacer les sangs.

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Très sincèrement, je ne savais pas dans quoi je mettais les pieds, mais j’avais vu et apprécié Peter Grimes de Benjamin Britten, et je m’étais dit que l’opéra contemporain ça pouvait se tenter, qu’il ne fallait pas être sectaire. Mais pour le coup, je n’étais vraiment pas le public visé : je pense qu’il faut vraiment connaître et apprécier ce genre de musique, et ce n’est clairement pas mon cas.
En outre, la mise en scène, très sombre, avec des espèces de planches partout qui se meuvent, et des personnages décharnés qui se déshabillent peu à peu, m’a clairement évoqué l’univers concentrationnaire, et m’a mise très mal à l’aise (c’était sans doute voulu). C’est surjoué dans la démesure et l’hystérie, ce qui n’arrange rien.
Il faut toutefois rendre hommage au talent des interprètes, les musiciens comme les chanteurs. Bo Skovhus dans le rôle-titre est impressionnant de rage, d’orgueil, de folie, de détresse (et de puissance vocale). Andreas Conrad fait preuve d’une technique étonnante et maîtrisée, parvenant à chanter une partition qui semble féminine (comme on ne le voit pas tout de suite, j’ai d’abord cru qu’il interprétait Cordelia).

En somme, c’est un spectacle exigeant et difficile, à ne pas mettre entre toutes les oreilles. Je vous laisse le trailer pour vous donner une idée (la première partie durait 1h25).

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Les maîtres chanteurs de Nuremberg

Vendredi dernier, Leen et moi avons pris notre courage à deux mains et sommes allées assister au plus long opéra de notre (jeune) vie : Les maîtres chanteurs de Nuremberg, de Wagner.

A Nuremberg, les maîtres chanteurs – pour la plupart des artisans passés maîtres dans l’art de composer des poésies chantées – sont sur le point d’élire le grand vainqueur de leur concours annuel, qui se tient à la Saint-Jean. Cette année, en outre, maître Pogner offrira la main de sa fille, Eva, ainsi que tous ses biens au gagnant, souhaitant en fait privilégier Beckmesser, car Hans Sachs, le meilleur d’entre eux, ne participera pas.
Mais la jeune fille ne l’entend pas de cette oreille (ah, ah) : amoureuse du chevalier Werther, elle ourdit un plan pour épouser celui-ci. L’amant décide alors de réclamer l’aide de Sachs pour remporter le concours, et gagner ainsi la main de sa bien-aimée.

J’ignorais que Wagner avait composé des opéras aux tonalités comiques et qui se finissent bien, aussi ai-je été ravie par cette (longue) histoire à tiroirs. Les situations sont drôles, touchantes, parfois poignantes et justes…

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La direction musicale de Philippe Jordan est pour ainsi dire sans faille : j’avais entendu dire qu’il avait “dénazifié” l’oeuvre et, en effet, dès le programme il explique ses choix de jouer conformément à la partition et non à la tradition, de rendre les subtilités prévues par Wagner, insistant sur la nécessité pour la mélodie d’accompagner le chant, et non l’inverse. A aucun moment on n’a l’impression d’être dans une musique va-t-en-guerre et pompeuse.
Les interprètes sont excellents, avec une mention spéciale à Michael Kupfer-Radecky, qui a remplacé au pied levé Gerald Finley, souffrant, dans le rôle principal. Un vrai morceau de bravoure mais, à en juger par la réaction de tous, dans le public comme parmi les artistes, une franche réussite. Les autres chanteurs ne sont pas en reste, et offrent de beaux moments de comédie ou de tragédie – sans compter les chœurs, dont la direction est véritablement sans faille, et qui parviennent à s’insérer harmonieusement sur scène et dans la mélodie, malgré leur nombre (120 !). Bo Skovhus parvient à humaniser Beckmesser, le grand méchant ridicule, et tous dénotent un talent certain pour le théâtre.

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La mise en scène est drôle et inventive : cette histoire semble se dérouler dans des recoins de la maison de Hans Sachs, et les personnages s’animent comme de minuscules fées vivant dans les meubles. Ce tour de passe-passe (servi aussi par de superbes décors, costumes et lumières) permet même de digérer les cinq dernières minutes de nationalisme puant (n’oublions pas que Wagner est un homme du 19è siècle), en en faisant une espèce d’envolée lyrique d’un homme qui serait grisé de sa propre importance (et les réduisant, donc, à de vulgaires élucubrations).
Cet opéra me confirme que je suis wagnérienne dans l’âme, ce qui me surprend encore, je l’avoue. Je n’ai pas vu passer le temps, j’ai passé un moment inoubliable, et je pense que j’essaierai de découvrir d’autres oeuvres  du compositeur prochainement.

Les maîtres chanteurs de Nuremberg, Opéra Bastille (photos empruntées à la page Facebook de l’Opéra)

Iolanta / Casse-Noisette

Iolanta

Cette année, l’opéra de Paris proposait un spectacle “comme à l’époque de Tchaïkovski” proposant deux oeuvres à la suite, un opéra puis un ballet. Si le ballet, Casse-Noisette, est un très grand classique du répertoire, je n’avais jamais entendu parler de Iolanta, opéra en un acte relativement court (moins de deux heures).

Iolanta est la fille aveugle du roi René de Provence, mais ignore tout de son infirmité, car elle est élevée à l’écart du monde dans un “désert paradisiaque”. René arrive accompagné d’un médecin censé guérir cette cécité, mais ce dernier insiste pour révéler le problème à Iolanta, ce que le père ne peut se résoudre à faire. Le fiancé de la jeune fille, Robert, duc de Bourgogne, arrive par hasard sur le domaine, se plaignant de devoir l’épouser car il en aime une autre ; le meilleur ami de Robert, Vaudémont, tombe sous le charme de Iolanta et lui révèle la vérité…

C’est une très jolie oeuvre, aux accents typiques de Tchaïkovski. S’il ne se passe pas forcément grand-chose, on est emporté par l’histoire et, surtout, par les airs. Sonya Yoncheva est remarquable dans le rôle-titre, et ce d’autant plus qu’elle a annoncé juste avant le spectacle qu’elle était souffrante (elle a dû hésiter sur deux notes). Face à elle, le cast masculin est un peu plus “classique”, avec tout de même un Vito Priante superbe en Ibn-Hakia. La direction musicale d’Alain Altinoglu (sur les deux œuvres), est excellente.
La mise en scène, dans un petit salon resserré au centre de la scène, laissant le reste dans l’obscurité, est bien trouvée car elle souligne le huis clos et le monde replié dans lequel vit Iolanta. Au lieu de situer la pièce dans le moyen-âge provençal, le choix a été fait de déplacer l’argument dans la Russie fin 19è, là encore avec bonheur.
Je reproche toutefois un recours un peu exagéré aux cris, larmes, éclats de rire, qui servent à surligner (oui, en fluo) l’hystérie du personnage principal dont la cécité n’est peut-être pas aussi définitive que l’on croit. Selon moi, le livret suffisait amplement à le faire connaître, et il n’était pas nécessaire d’en rajouter.

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Vient ensuite Casse-Noisette, dont l’argument a été totalement modifié, au point qu’il ne reste de l’oeuvre originelle que la musique. Offrant une belle continuité, le ballet débute à l’instant où s’achève l’opéra, découvrant un théâtre dans le théâtre, déplaçant cette fois-ci l’action dans les années 1950, peut-être en Angleterre. L’idée est excellente et permet d’embrayer sans frémir.
Cette fois-ci, nous suivons le voyage initiatique de Marie qui, lors de sa soirée d’anniversaire, rencontre Vaudémont dont elle tombe amoureuse. Las, celui-ci disparaît et Marie part à sa recherche, laissant derrière elle les ruines fumantes de son foyer, traversant une forêt effrayante et croisant des jouets immenses…

L’idée de confier la chorégraphie à trois artistes différents – Arthur Pita, Edouard Lock et Sibi Larbi Cherkaoui – était peut-être intéressante sur le papier, mais peine malheureusement à convaincre sur scène. J’ai eu l’impression d’un réel décalage d’un chorégraphe à l’autre, l’univers de chacun peinant franchement à s’imbriquer à celui des deux autres, donnant le sentiment d’une superposition de scènes plutôt que d’une histoire d’un seul tenant.
La première partie, signée Arthur Pita, était drôle et enlevée, mais s’apparentait plus à du théâtre dansé qu’à de la danse à mes yeux (mais je suis assez classique dans mes goûts).
Les tableaux chorégraphiés par Sidi Larbi Cherkaoui sont sublimes de grâce et d’intelligence. Les deux pas de deux sont superbes, portés par deux interprètes – Marion Barbeau et Stéphane Bullion – sublimés par ce nouveau décor et cette réécriture. De même, la valse des fleurs était plutôt bien trouvée, quoique peut-être un peu lourde de symbolisme. La valse des flocons était, pour ce que j’en ai vu – j’y reviendrai – intéressante mais avec un petit côté stalinien.
En revanche, je suis passée complètement à côté du travail d’Edouard Lock. Mais vraiment. Des gestes saccadés répétés à grande vitesse – excellence technique, certes, mais j’avais l’impression d’être dans La nuit des morts-vivants – des passages parfois très lents ou incompréhensibles, des décors parfois grotesques… Si je n’avais pas lu le livret, je n’aurais rien compris. Le pire, à mes yeux, était le divertissement, avec l’enchaînement de danses “de caractère” (espagnole, arabe, russe, etc.) : entre jouets soviétiques géants (et franchement flippants) et lenteur exacerbée sur des passages pourtant enjoués, je me suis emmerdée comme un rat mort.
Là encore, Dmitri Tcherniakov, le metteur en scène de Iolanta et librettiste de ce Casse-Noisette revisité, cherche à explorer la psyché féminine en surjouant l’hystérie, mais c’est quand même beaucoup moins réussi. Une fois n’est pas coutume, on est parties dès le tomber du rideau.

Une dernière chose qui a contribué à rendre cette soirée un peu amère : le public, qui fut une de mes pires expériences à l’opéra de Paris. Outre les gens arrivés en retard qui sont quand même entrés (normalement, c’est impossible, mais c’était peut-être dû au fait que nous étions tout en haut, à l’amphithéâtre), nous avons dû endurer une femme qui ne cessait de parler et qu’il a fallu faire taire à de multiples reprises et, cerise sur le gâteau, au rang derrière moi, une vieille qui a dégainé son appareil photo pendant la valse de flocons et… pris des clichés. Au flash (d’où ma distraction, hein). Je suis partagée entre la profonde colère contre ces gens qui ne respectent ni l’oeuvre, ni les artistes, ni leurs co-spectateurs, et l’ébahissement le plus absolu.

Iolanta/Casse-Noisette, jusqu’au 1er avril, opéra Garnier

Passion au Théâtre du Châtelet

affiche_passionHier soir, j’ai eu l’immense chance d’être invitée à la générale de Passion, la nouvelle comédie musicale de Stephen Sondheim (un monument du genre) présentée par le Théâtre du Châtelet, mise en scène par Fanny Ardant et dont le rôle principal est interprété par Natalie Dessay. Excusez du peu.

Adapté du film Passion d’amour d’Ettore Scola – non je ne connaissais pas – le musical raconte l’histoire de Fosca, femme plus si jeune, laide et gravement malade, qui s’entiche et s’entête à aimer Giorgio, un bel officier dont le coeur est déjà pris. Obsédée par lui, elle le harcèle tandis qu’il ne cesse de la repousser, jusqu’à l’ultime moment où il se rend compte que nul ne l’a aimé comme Fosca.


Les interprètes sont excellents. Natalie Dessay, bien entendu, qui confirme qu’elle est à l’aise dans tous les registres, interprétant ce rôle avec puissance sans pour autant jouer les divas (au propre comme au figuré), donnant à son personnage une force qui affleure sous la débilité physique, parvenant à rendre sympathique cette femme au premier abord détestable et agaçante.

©Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert
©Théâtre du Châtelet – Marie-Noëlle Robert

Les autres ne sont pas en reste, en particulier Ryan Silverman en Giorgio qui occupe presque tout le temps la scène, interprétant tout en nuance un personnage qui pourrait facilement passer pour monolithique. Enfin, Erica Spyes, qui incarne Clara, la maîtresse bien-aimée du héros, propose un très beau contrepoint au personnage de Fosca, sans pour autant tomber dans la caricature éthérée. Le reste de la distribution est à la hauteur.
L’histoire avance tambour battant – rythmée justement par des percussions aux sonorités militaires – et il n’y a pas de temps mort. Elle est en outre très bien servie par des changements de décors rapides et des costumes somptueux (ah, ces robes, ces uniformes !).

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©Théâtre du Châtelet – Marie-Noëlle Robert

Attention, il s’agit d’une comédie musicale à moité chantée et à moitié jouée en anglais (le surtitrage est nickel) et, contrairement à d’autres productions, il n’y a pas de “tube” qu’on pourrait retenir facilement, plutôt des airs que l’on entend de façon récurrente tout au long du spectacle. La part belle est faite aux parties jouées et aux récitatifs plutôt qu’à d’éventuelles “arias”.
Quoi qu’il en soit, c’est un très beau spectacle, poignant sans donner dans le larmoyant, porté par un excellent casting. Je ne peux que vous recommander d’y aller !

Passion, au Théâtre du Châtelet, du 16 au 24 mars 2016