L’Hôtel du Libre-Echange

L’irascible Angélique Pinglet, outrée, lit cette annonce à son mari, sans se douter que ce dernier vient d’y donner rendez-vous à Marcelle Paillardin – l’épouse de son ami et associé, l’architecte Paillardin – qui, lasse d’être négligée par son mari, a accepté. Ce que tous deux ignorent, c’est que, ce soir-là, Paillardin sera également logé dans cet « hôtel borgne » tenu par Boulot et Bastien, et qui abrite les amours clandestines de Victoire (la femme de chambre de Pinglet) avec Maxime, le neveu de Paillardin. Pour couronner le tout, Mathieu, un ami de province venu à Paris avec ses quatre filles, y séjourne aussi. Ces retrouvailles inopinées provoquent péripéties, quiproquos, situations absurdes et farcesques, entraînant les personnages dans un tourbillon vaudevillesque. 

Nous avons reçu les places pour cette pièce à Noël. J’avoue que cela n’aurait pas été mon premier choix, mais du théâtre de boulevard interprété par les Comédiens-Français, cela s’annonçait néanmoins prometteur. Et à raison.
La pièce, comme toujours dans le vaudeville, tient à la fois du comique de situation, des quiproquos, des dialogues enlevés et des prouesses des acteurs. Les portes claquent, on se cache, on se déguise, on crie, et la salle se tient les côtes de rire – de même qu’une partie de la troupe qui prend visiblement plaisir à être là.
Michel Vuillermoz, que nous avions déjà vu dans Le songe d’une nuit d’été et Cyrano de Bergerac, confirme tout son talent, et son art de cabotiner sans avoir l’air d’y toucher. Mais j’avoue avoir été bluffée par Christian Hecq dont les pitreries étaient à la fois à pleurer de rire et impressionnantes de maîtrise.

La mise en scène d’Isabelle Nanty est très dynamique, avec deux intermèdes musicaux lors des changements de décors – j’ignore s’ils sont prévus dans le texte original, mais j’ai trouvé que c’était une bonne façon de scander l’action – et un décor, notamment de l’hôtel, qui exploite à fond l’espace scénique. Par ailleurs, les costumes 1890-1900 sont splendides (toutes les actrices sont en corset) ce qui, après des mois de “classiques revisités” à l’Opéra de Paris, est une bouffée d’air frais bienvenue. Notez que le tout est signé Christian Lacroix.
En somme, nous avons passé un excellent moment et ne pouvons que vous inviter à réserver votre soirée à l’Hôtel du Libre-Echange !

L’Hôtel du Libre-Echange, Georges Feydeau, Comédie-Française (salle Richelieu) jusqu’au 25 juillet 2019


Cyrano de Bergerac à la Comédie-Française

cyranoCyrano de Bergerac est un soldat, un cadet de Gascogne, bretteur, hâbleur, poète et rebelle, toujours enclin à épingler les gens d’un bon mot ou d’un coup d’estoc. Seule à échapper à ses foudres, la précieuse Roxane, sa cousine, dont il est secrètement amoureux. Toutefois, cette dernière n’a d’yeux que pour Christian, un jeune cadet, malheureusement dénué de tout esprit.
Cyrano, qui a promis à Roxane de protéger son amant, propose à ce dernier un marché : “Je serai ton esprit, tu seras ma beauté”. Tous deux courtiseront la belle, l’un avec ses mots, l’autre avec ses traits…


C’est l’histoire d’une pièce que nous avons failli ne jamais voir. La veille de la représentation, notre baby-sitter a dû annuler pour cause d’urgence urgentissime. Heureusement, Leen a pu nous dépanner. Las, le jour même, Monsieur était malade et coincé dans la salle d’attente du médecin (qui avait 1h30 de retard, un record), Leen est arrivée juste à temps pour cause de véto en retard… par un miracle inattendu, nous sommes arrivés à l’heure au théâtre, mais le retour nous a réservé une dernière surprise : travaux sur la voie, bus de remplacement, près de 25mn d’attente… on a pris un taxi.

Bon, c’est bien joli, me direz-vous, et la pièce ?
Comme presque tous les gens de ma génération (je dis “presque”, car ce n’était pas le cas de l’Anglais), je connais Cyrano de Bergerac grâce à l’interprétation de Gérard Depardieu dans le magnifique film de Jean-Paul Rappeneau. Celui-ci m’a transportée quand je l’ai vu au cinéma – j’étais petite – et m’a toujours fait un effet incroyable, au point que j’en connais toujours des vers par cœur (je n’ai lu l’oeuvre originale qu’une seule fois).
Compte tenu du nombre de personnages et de décors, je m’interrogeais sur la façon de représenter cela au théâtre (surtout le premier acte), mais j’ai été ravie : la transposition du sujet dans l’époque même de Rostand, émaillée de références aux Comédiens-Français m’a emportée. C’est drôle, intelligent, bien fichu, l’espace est parfaitement occupé, y compris les sous-sols et les hauteurs (si, si).

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Quant à l’interprétation, elle est exceptionnelle. Michel Vuillermoz utilise toute la palette des émotions humaines et fait de son Cyrano un héros juste et entier, sans pour autant donner dans la caricature. Le personnage se met à nu, expose ses faiblesses autant que ses torts, mais parvient à rester magnifique jusqu’au bout.
N’oublions bien évidemment pas le reste de la distribution (c’est l’avantage, au Français, les comédiens sont toujours bons) : Françoise Gillard en Roxane aveugle jusqu’au bout, et Hervé Pierre en Ragueneau tantôt truculent, tantôt désabusé soutiennent parfaitement son jeu. Même Loïc Corbery, pourtant dans un rôle moins flamboyant, parvient à communiquer le mal-être et l’angoisse de son personnage de plus en plus en décalage avec celle qu’il aime. Didier Sandre me fait toujours de l’effet depuis son interprétation de Louis XIV dans L’allée du roi, alors je suis partiale (mais il était aussi génial).

J’ai adoré les lumières, l’ambiance sonore et musicale, les décors (ah, la rôtisserie des poètes ! le siège d’Arras, mélange de radeau de la Méduse et tranchées de la Grande Guerre !), l’évident enthousiasme des comédiens de s’emparer de ce texte, la musicalité et l’intelligence des vers de Rostand, le rire, bien sûr, mais aussi l’émotion palpable.

Bref, c’était génial. Je vous dirais bien d’y courir, malheureusement, toutes les places sont vendues, il vous reste à prier pour que la pièce soit remontée à la saison prochaine.
En revanche, après avoir vu la pièce, je ne sais pas de quel œil je reverrai le film…

Le Misanthrope

LeMisanthropeJeudi soir, grâce à l’Américaine qui accompagnait ses étudiants, j’ai pu retourner à la Comédie-Française pour assister à la représentation d’une nouvelle pièce de Molière, Le Misanthrope.
Alceste hait l’humanité tout entière, il dénonce l’hypocrisie, la couardise et la compromission. Mais il aime pourtant Célimène, coquette et médisante. Le vertueux se lance ainsi dans des combats perdus d’avance qui l’acculent à la fuite…


Alors que la pièce est célèbre, j’avoue que je ne l’avais jamais vue ni lue. Pour être honnête, je n’en connaissais même pas l’argument. Et ce n’est pas faute, comme à peu près 90% des élèves de France et de Navarre, d’avoir étudié Molière à l’école ! Cette oeuvre est plus sérieuse que la majeure partie de la production de l’auteur, qui vécut, l’année de sa composition, plusieurs trahisons personnelles. On y relève une amertume qui s’exprime essentiellement dans le personnage principal, mais pas seulement.

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La version proposée cette saison est… longue, avouons-le. Si les acteurs sont, comme toujours, excellents, le metteur en scène a pris le parti d’étirer certains moments pour renforcer la tension dramatique. Or, cela fonctionne bien pendant toute la première moitié de la pièce, qui demeure assez enlevée, mais s’enlise lentement mais sûrement dans la seconde (surtout quand on a un train à attraper à l’autre bout de Paris).
Certains choix sont toutefois bien vus : avoir déplacé le cadre dans une gentilhommière, probablement pendant les années 1950-60, est intelligent, car cela permet de souligner la modernité du propos. De même, la scène du repas est très vivante et offre un excellent moment de comédie.
Toutefois, et c’est sans doute aussi un des problèmes de la pièce, le personnage d’Alceste est profondément antipathique et, à un moment donné, on a juste envie de dire aux autres “Mais laissez-le se démerder tout seul !”. Sa volonté de prendre en défaut tout et tout le monde est fatigante, et l’on a du mal à comprendre pourquoi les personnages qui évoluent autour de lui persistent à le trouver “aimable”.

Du coup, je suis très mitigée sur cette pièce. D’un côté, je suis ravie d’avoir pu écouter la langue de Molière, surtout quand elle est si bien interprétée. De l’autre, je me suis quand même un peu ennuyée, et c’est fort triste. Peut-être faudra-t-il retenter ma chance avec une autre mise en scène à l’occasion ?

Le Misanthrope, Molière, Salle Richelieu, jusqu’au 8 décembre

Le songe d’une nuit d’été – Comédie-Française

songedunenuitdeteA Athènes, Thésée s’apprête à célébrer ses noces avec Hippolyte, la reine des Amazones. Dans la forêt avoisinante, Obéron, roi des elfes, se dispute avec Titania, sa femme, au sujet de leurs nombreuses conquêtes passées et présentes. Ajoutons deux couples d’amoureux contrariés – Hermia, qui est amoureuse de Lysandre mais promise à Démétrius, lequel est aimé d’Héléna – et des artisans partis répéter une tragédie pour les noces de leur duc, avec le truculent Bottom. Tout ce petit monde finit par se retrouver dans la forêt, où les sortilèges d’Obéron, aidé par le lutin Puck, vont semer la confusion au cours d’une nuit dont personne ne saura vraiment si elle est un rêve, un jeu ou un fantasme. Un songe ?


C’était remarquable. Outre la pièce – que je n’ai lue qu’une seule fois il y a une bonne quinzaine d’années – qui est extrêmement drôle, les acteurs étaient talentueux et se donnaient à fond. J’ai adoré la mise en scène, qui intégrait certains personnages dans la salle (et qui m’a permis de faire la bise à Michel Vuillermoz, moment d’émotion), et dépoussiérait franchement le côté quelque peu pompeux qu’on aurait pu redouter, d’autant que la nature même du théâtre élisabéthain se prête mieux, je trouve, à l’inventivité que notre théâtre classique. En outre, la traduction a été modernisée juste ce qu’il faut pour rendre le propos encore plus pertinent.

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Nous avons été conquis : je n’avais pas ri comme ça, et a fortiori au théâtre, depuis Aucassin et Nicolette en novembre dernier. A la fin, j’en avais les larmes aux yeux et j’avais du mal à respirer. Mention spéciale aux acteurs qui interprètent Puck et Obéron, qui font preuve d’un talent comique et d’une endurance à toute épreuve.

Si vous en avez la chance de dénicher des places, courez-y. La pièce est à l’affiche jusqu’au 25 mai.

Le songe d’une nuit d’été, Comédie-Française, salle Richelieu

Tartuffe

Hier soir, grâce à une amie, j’ai été invitée à la Comédie-Française pour assister à une représentation de Tartuffe. Je ne sais pas vous mais, personnellement, des pièces de Molière, j’en ai étudié une par an de la 6ème à la 2nde – et celle-ci, en particulier, fut l’objet d’un trimestre la dernière année. Même si mes années de lycée sont loin derrière moi, je gardais tout de même assez de souvenirs de cours pour savoir à quoi m’attendre.

Tartuffe

Dans la maison d’Orgon, deux camps s’opposent : celui du maître de maison et de sa mère, qui ne jurent que par Tartuffe, un homme qui se dit dévot et prend lentement mais sûrement l’ascendant sur eux et la maisonnée, et tous les autres, épouse, enfants, domestiques, qui n’en peuvent plus des manières de l’hypocrite personnage. Mais Orgon est aveuglé de passion pour son “frère” ainsi qu’il l’appelle, au point de vouloir lui donner sa fille en mariage et de déshériter son fils à son profit. Seule Elmire, sa femme, parviendra à lui ouvrir les yeux en révélant la vrai nature de Tartuffe.

Cette pièce a connu une histoire compliquée, faite de soubresauts et de cabales, dont je vous épargnerai les détails ici. Toujours est-il que, plus de trois siècles après sa création, elle a toujours le même à-propos, la même puissance comique et trouve une résonance jusqu’à nos jours. On rit franchement de situations qui pourraient exister à notre époque, quoique peut-être dans un autre contexte que celui de la religion.

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La version présentée ce soir est excellente : les acteurs sont très bons (en même temps, au Français…), la mise en scène est bien faite, avec juste ce qu’il faut de modernité pour dépoussiérer l’oeuvre, le décor est génial, sans doute un de mes plus gros coups de coeur de la soirée : une pièce dotée de deux portes et donnant sur d’autres pièces en enfilade où évoluent les acteurs. Les portes claquent, on se poursuit, on se fuit, on s’embrasse, on se jette des reparties cinglantes et des objets à la figure… Franchement, j’ai passé un très grand moment.
Un tout petit bémol, néanmoins : selon l’endroit où se placent les acteurs, l’acoustique change. Alors qu’elle est très bonne dans la majorité des cas, les voix paraissent parfois étouffées voire donnent l’impression de faire vibrer le bois. Mais je vous rassure, c’est assez ponctuel.

Maintenant, effet KissCool : mon cerveau m’a parlé en alexandrins tout le reste de la soirée et une partie de la matinée. Quel frimeur.

Tartuffe, Comédie-Française (salle Richelieu), jusqu’au 16 février 2015
Les images qui illustrent cet article sont tirées du site de la Comédie-Française.