Deux livres pour les 30 ans de Tchernobyl

Aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai toujours nourri une espèce de fascination pour la littérature “atomique”, celle qui, au Japon, parle des bombardements de Hiroshima et Nagasaki. Récemment, j’ai commencé à m’intéresser au sujet de Tchernobyl et, en ce jour de commémoration, je voulais vous proposer les deux lectures qui m’ont le plus frappée sur le sujet.

Alexievitch_SupplicationLa Supplication, de Svetlana Alexievitch. Je me suis déjà étalée en long, en large et en travers sur l’admiration que je voue à cette femme, qui a obtenu le Nobel de littérature l’an dernier. Dans cet ouvrage, on retrouve tout ce qui faisait la force de La fin de l’homme rouge : les voix individuelles qui, ajoutées les unes aux autres, se transforment en une sorte de voix collective. Le plus poignant est sans doute que, à travers chaque témoignage, on distingue des fragments personnels du drame qui a touché des milliers de personnes. Ce qui est très intéressant, c’est que l’auteur ne s’arrête pas qu’aux populations civiles victimes des retombées nucléaires : liquidateurs, parents d’enfants malades, militaires, ingénieurs, responsables, agriculteurs, médecins… La palette des personnes rencontrées présente tous les visage de la Biélorussie de 1986 et d’aujourd’hui.
Un livre à lire, à faire lire, à découvrir absolument pour avoir une connaissance littéralement intime de Tchernobyl.


Printemps à TchernobylUn printemps à Tchernobyl, d’Emmanuel Lepage. Cette fois-ci, il s’agit d’une bande dessinée, la première que j’ai lue de cet auteur que j’admire énormément, et qui retrace son séjour à Tchernobyl en 2008. Le ton est tout aussi intime, car le dessinateur mêle ses propres souvenirs de la catastrophe vue de France, ses impressions sur place, et même des extraits d’Alexievitch (notamment, ce témoignage extrêmement poignant d’une épouse de pompier). Néanmoins, au-delà du personnel, Lepage fournit des données, des chiffres, qui donnent à réfléchir à la question du nucléaire civil.
Le dessin est, comme toujours, sublime. L’auteur alterne entre différentes techniques (le pastel, l’encre – je ne suis pas spécialiste), différentes approches (noir et blanc, couleurs, sépia…) qui ont chacune leur “raison d’être”. A l’hyper réalisme des paysage industriels répondent les couleurs explosives et quasi oniriques de la forêt. Un magnifique témoignage très fouillé, que je recommande autant pour ses qualités artistiques que pour son engagement.

La lune est blanche

En 2011, l’Institut polaire français invite François et Emmanuel Lepage à rendre compte, dans un livre mêlant bande dessinée et photos, d’une mission scientifique sur la base française antarctique Dumont d’Urville, en Terre-Adélie.
En outre, il leur propose de participer, comme chauffeurs, au raid de ravitaillement de la base Concordia, située au coeur du continent antarctique, à 1200km de Dumont d’Urville ! Le Raid, comme on l’appelle, est LA grande aventure polaire !
Pour les deux frères, ce serait l’aventure de leur vie… Mais rien ne se passera comme prévu !

luneblanche

J’éprouve un intérêt tout particulier pour les TAAF, les terres australes et antarctiques françaises, depuis le génial blog Les manchots de la République qui racontait la vie aux Kerguelen, du point de vue du chef de district. En outre, je suis très admirative du travail d’Emmanuel Lepage, que j’ai découvert il y a deux ans avec sa BD Printemps à Tchernobyl, puis avec Voyage aux Iles de la Désolation, que je vous recommande très chaleureusement.

Cette fois-ci, le dessinateur, narrateur du voyage, travaille de concert avec son frère, photographe. Nous le suivons, tant dans un cheminement intérieur que dans un long voyage depuis la France jusqu’en Terre-Adélie, en passant par la Tasmanie et l’océan. Le récit mêle habilement réflexions personnelles, histoire de la conquête du continent antarctique (en plein 19ème siècle !) et portraits d’hivernants qui vont passer un an sur la base. En contrepoint, différents personnages interviennent pour expliquer la gestion du continent Antarctique ainsi que son importance écologique. C’est extrêmement bien documenté et passionnant.
Le dessin est magnifique, très réaliste tout en demeurant empreint d’une certaine poésie. Aux longues pages en noir et blanc relatant le quotidien des auteurs, se mêlent des pages sépia narrant le passé et, par fulgurances, des aquarelles ou pastels aux couleurs éclatantes. Il y a quelque chose de presque onirique dans certaines planches. Les photos, quant à elles, montrent la réalité du voyage et de la base : le blanc à perte de vue, la lumière aveuglante, la solitude intense…

Emmanuel Lepage, tous droits réservés
Emmanuel Lepage, tous droits réservés

On ressort de cet ouvrage comme d’un long tunnel ou d’un rêve éveillé. Outre le sujet, qui prête bien à l’évasion, le traitement choisi permet de se laisser happer dans la narration. Je n’avais pas envie de refermer ce livre, et ne peux que vous le recommander chaleureusement.

La lune est blanche, François et Emmanuel Lepage, Futuropolis