Idées reçues sur le japonais

nihongoHier après-midi, alors que j’étais dans le métro, j’ai surpris une conversation entre deux jeunes gens (enfin, “surpris”… je pense que la moitié du wagon en a profité), dont la teneur m’a un peu hérissée. J’ai entendu pas mal de conneries autour de la langue japonaise, essentiellement des idées reçues, et j’avais envie de mettre les choses à plat.
Si j’avais eu plus de deux stations, je pense que j’aurais attrapé les deux interlocuteurs entre quatre-z’yeux pour leur apprendre la vie, la vraie. Bref.

“Moi j’préfère apprendre le japonais que l’anglais”.
Hem. Déjà, l’anglais “standard” est juste la langue la plus parlée au monde, celle qui normalement peut te permettre de te dépatouiller à peu près partout. A l’inverse, le japonais est parlé par 125 millions de personnes dans le monde, ET C’EST TOUT. Le Japon ayant perdu ses colonies (ou les nôtres) à la fin de la seconde guerre mondiale, aucun autre pays ne parle le japonais. Incroyable, non.
De plus, si tu n’es pas prêt à apprendre une langue dont la structure grammaticale, la pensée, le vocabulaire (en grande partie tiré de mots français), l’alphabet, etc. sont similaires aux nôtres, comment diable vas-tu te mettre à une langue qui nécessite de découvrir une nouvelle grammaire, trois systèmes d’écriture (oui, trois : deux syllabaires, plus les kanji), des degrés de politesse et des concepts qui n’existent pas chez nous, des structures franchement alambiquées, j’en passe et des meilleures ?
La seule chose que je suis prête à concéder, c’est que le japonais est plus facile à prononcer que l’anglais quand on est Français (et encore, je jetterai un voile pudique sur les “h” aspirés). Point barre.
Enfin, sache une chose : plus on parle de langues étrangères, plus il est facile d’en apprendre de nouvelles. A titre personnel, j’ai intégré le truc des “particules” (qui généralement indiquent la fonction grammaticale du mot/groupe de mots dans la phrase) grâce à mes déclinaisons latines.

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“Tu vois, quand je regarde One Piece, je reconnais des mots comme “Matsumoto-san”, c’est trop cool.”
Je ne jetterai jamais la pierre à quelqu’un sur les raisons qui l’ont poussé à suivre tel ou tel enseignement. Personnellement, je me suis mise au japonais parce que j’aimais les sushis, les manga et la littérature japonaise classique. Ma belle-mère s’est mise au russe parce qu’elle n’a pas entendu son nom pour les cours d’allemand (elle est devenue interprète et a rencontré mon beau-père en URSS, comme quoi).
Toutefois, si ta seule motivation pour apprendre la japonais, c’est pouvoir lire les manga en VO et comprendre les paroles des groupes de J-Pop, ça ne va pas suffire. Il existe deux façons d’apprendre la langue, du moins en région parisienne : à la fac ou dans des cours d’initiation. Ces derniers sont bien (je ne les ai pas testés, mais j’en ai eu des retours positifs), si l’on part du principe que ce n’est qu’une initiation et que ça permettra de tenir une conversation basique.
La fac, en revanche, c’est du sérieux. En région parisienne (je ne parle que de cela car c’est mon unique référence), c’est soit à l’INALCO, soit à Paris 7. Dans les deux cas, c’est une formation extrêmement variée mais très orientée “littéraire”. Apprendre le japonais à la fac, c’est comme faire des études LEA d’allemand ou d’espagnol : on bouffe du texte, de la traduction, de la compréhension écrite et orale et de la civilisation. Vous avez très peu de chance d’apprendre à déchiffrer un manga. Mais attendez-vous à un cours magistral sur la notion comparée d’art et d’artisanat au Japon. Tout de suite, ça calme.
Accessoirement, le japonais enseigné à la fac est le japonais dit “standard”, qui sert avant tout à lire des textes et faire des recherches. Contrairement au japonais de la culture populaire qui est essentiellement une langue parlée qui ne s’enseigne pas vraiment…
Qui plus est, les débouchés sont maigres, surtout si on ne fait que ça : interprétariat, traduction, enseignement (si on est très bon), serveur dans un resto de la rue Sainte-Anne. Je caricature à peine.

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“Nan mais j’m’en fous. Au pire, tu pars au Japon et t’apprends sur le tas.”
Encore une fois, tout dépend de l’usage que tu veux faire du japonais. Partir au Japon n’est pas une mauvaise idée en soi, mais il faut savoir à quoi s’attendre. Si tu pars avec un visa vacances/travail, 95% des boulots qu’on va te proposer, c’est… professeur d’anglais (par “professeur”, comprendre “baragouineur payé au lance-pierre pour faire gazouiller 25 mômes ou une demi-douzaine de vieilles pendant 50 minutes”). Difficile de progresser en japonais dans ces conditions.
En plus, au Japon, les étrangers ont tendance à vivre entre eux car il est très difficile de se faire des relations quand on ne parle pas japonais. Ou alors, il faut travailler dans une société japonaise, mais en général, ça implique de savoir faire autre chose que simplement aligner trois mots en idiome local (ingénieur, ça marche bien comme boulot). Et nous revoilà à la case départ.
Après, on y arrive. Apprendre sur le tas, ça se fait, il y a même des gens qui s’en sortent très bien et qui, au bout de plusieurs années (attention, le visa vacances-travail n’est pas renouvelable !), parlent comme les locaux. C’est là le hic : ils parlent, mais ils ne lisent ni n’écrivent, ou alors peu/mal. Et mine de rien, ça limite grandement les interactions et la vie quotidienne.

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Conclusion
Je ne cherche pas à décourager les gens, ni à dire qu’hors la fac point de salut. Il faut d’abord et avant tout déterminer ce qu’on veut, avant de faire ses choix en conséquence. Est-ce que tu veux comprendre les manga et les dessins animés ou découvrir la culture japonaise en profondeur ? Est-ce que tu perçois cet apprentissage comme un passe-temps ou comme un choix de carrière ? Dans ce second cas, prépare-toi à en chier un peu et demande-toi ce que tu peux apporter de plus à un employeur en dehors de ta connaissance du japonais (tu veux devenir assistant de direction trilingue, tu travailles dans la restauration ou le luxe, tu es animateur pour le cinéma…).

Pour moi, apprendre le japonais a été une formidable ouverture intellectuelle. J’ai découvert une culture extrêmement riche, grâce à un enseignement complet et exigeant. Mais la langue japonaise est vraiment complexe et nécessite une vigilance de tous les instants : presque sept ans après avoir quitté la fac, j’ai de plus en plus de mal à déchiffrer mes kanji, et je ne parle pas de les écrire. Seul l’oral prédomine, souvent grâce à un bon dictionnaire et à un petit verre de saké.
Ce sont des choses à savoir avant de se lancer là-dedans, mais quand on a mordu à l’hameçon, cela peut être à la fois gratifiant et particulièrement addictif !