Les Indes galantes

Dépitée de voir que la jeunesse d’Europe préfère la guerre à l’amour, la déesse Hébé convoque les messagers d’Amour pour qu’ils se dispersent aux Indes (entendre par là : dans les colonies françaises).

Cette nouvelle production, mise en scène par Clément Cogitore et chorégraphiée par Bintou Dembélé, était très attendue parce que le but affiché était de “décolonialiser” l’oeuvre. En outre, elle réunit toute la jeune garde des chanteurs lyriques français (Sabine Devielhe, Jodie Devos, Julie Fuchs, Stanislas de Barbeyrac, Edwin Crossley-Mercer, Alexandre Duhamel, Florian Sempey, Mathias Vidal), et des danseurs issus de toutes les “branches” du hip-hop (je n’y connais rien, je précise). Ca promettait de dépoussiérer sévère.

Alors, qu’est-ce que ça donne ? Clément Cogitore transpose franchement l’opéra dans notre monde actuel, fait de béton brut et d’un cratère géant (“le volcan sur lequel danse la jeunesse” – soit), cratère dont une grue extrait des éléments de décor, tel un bout d’épave, ou qui se comble pour former un ring.

L’alliance du hip-hop et de la musique baroque, si elle peut sembler “contre nature” et faire frémir, fonctionne étrangement bien. Les artistes, chanteurs et danseurs, sont à la hauteur de l’oeuvre et prennent visiblement plaisir à être sur scène ensemble. Le grande réussite de cette production consiste à mêler solistes, chœurs et danseurs, offrant quelques moments de grâce : dans l’entrée des Incas du Pérou, Sabine Devieilhe interprète un magnifique “Viens Hymen…” tandis qu’un danseur occupe l’espace, créant une véritable symbiose. Plus tard, la scène du volcan (car il y a un vrai volcan dans l’histoire), transposée en battle filmée par des portables, est spectaculaire et portée par la voix d’Alexandre Duhamel.

Enfin, le plus grand tube de cet opéra, et “cérémonie du calumet de la paix” dans l’entrée des Sauvages (autant dire que, niveau colonialisme, on partait de loin…) offre un moment absolument réjouissant où les danseurs s’emparent de la scène, réitérant le coup d’éclat de Clément Cogitore en 2017, qui l’avait fait connaître. Il monte alors une énergie incroyable, une tension qui habite la salle entière et qui se déchaîne dans un tonnerre d’applaudissements.

Mais est-ce suffisant pour faire une bonne mise en scène ? Pas à mon sens. Clément Cogitore aligne une foule de références (Le diable s’habille en Prada, Michael Jackson, le joueur de flûte de Hamelin, Mike Tyson… mais pas que) sans mettre de liant. Le prologue, qui débute comme un défilé de mode, est assez rigolo, jusqu’à l’arrivée de l’Amour et de ses messagers, des enfants portant des lampes-torches aveuglantes (le public en fait les frais). Je n’ai pas compris de quoi il retournait.
Si les entrées des Incas du Pérou et des Sauvages fonctionnent assez bien, celle du Turc Généreux, quoique nourrie de bonnes idées (les naufragés sont des migrants “accueillis” par des inspecteurs sanitaires et un berger allemand), est assez brouillonne.
Enfin, l’entrée des Fleurs (censée se dérouler dans un jardin perse) est transposée en plein Red Light District, à Amsterdam, où les danseuses et chanteuses très court vêtues ondulent dans des cages vitrées, et où Tacmas, normalement déguisé en marchande, se retrouve en mère maquerelle (Mathias Vidal est d’ailleurs tout à fait convaincant, ce qui n’était pas gagné…). Moi qui, à l’entracte, m’étais réjouie que, pour une fois, on n’ait vu aucune danseuse ni chanteuse en tenue légère/à poil, ni scène érotique sur scène, j’en ai été pour mes frais. Par ailleurs, était-il nécessaire de transformer Julie Fuchs en une espèce de papillon de nuit géant digne de l’affiche du Silence des Agneaux pour lui faire chanter “Papillon inconstant” ? J’ai comme un doute.

Est-ce que ça en valait la peine ? Oui. La musique était belle, les interprètes excellents, et le mélange des genres fonctionnait. Est-ce que ça valait les standing ovations des deux premiers soirs ? Non, clairement pas.

Platée

Mercredi soir, c’était la reprise de la saison d’opéra avec Leen. Pour bien commencer l’année, nous avions jeté notre dévolu sur une oeuvre de Jean-Philippe Rameau, compositeur français du 18ème siècle.

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Après un prologue où l’on assiste à la naissance de la Comédie, on décide de présenter un divertissement sur la façon dont Jupiter guérit Junon, son épouse, de sa jalousie maladive. Pour ce faire, le roi des dieux entreprend de séduire Platée, reine des grenouilles réputée pour sa laideur, et de le convaincre de l’épouser. Au dernier moment, Junon, furieuse, arrache le voile de la fiancée et éclate de rire, définitivement remise de ses accès de colère. Platée, quant à elle, regagne son marais sous les quolibets.

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Non, ce n’est pas une histoire gentille, et de nos jours, on pourrait estimer qu’elle est franchement cruelle. Toutefois, on rit beaucoup dans cet opéra, aux dépens de tous les protagonistes.
La mise en scène est vive et drôle, le décor – un théâtre qui évolue au fur et à mesure de l’histoire – joue sur l’ambiguïté de la musique baroque en France (spectacle pour le roi ou roi qui se donne en spectacle ?) tout en mettant en valeur la modernité de la musique de Rameau. Les costumes sont bien trouvés, les chorégraphies des parties dansées (très présentes dans ce genre d’oeuvre) rappelant des “scènes de la vie conjugale” soulignent le propos sans l’alourdir… Une vraie réussite.
Quant aux interprètes, ils rivalisent d’excellence. C’était la première fois que j’entendais vraiment Julie Fuchs, dans le rôle de la Comédie et, surtout, de la Folie, et elle est à couper le souffle. La virtuosité avec laquelle elle enchaîne les notes plus aiguës les unes que les autres donne le vertige, d’autant que je suis convaincue qu’une partie de son interprétation laisse place à l’improvisation. Enfin, j’ai une mention spéciale pour Philippe Talbot (oui, c’est un homme), dont la Platée est drôle, touchante, grotesque, comique… et sacrément sportive ! J’avoue être restée en admiration en le voyant sauter les marches deux à deux sans perdre son souffle en plein milieu d’un air.

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Au final, c’est un petit bijou de bonne humeur et de bonne musique, et je ne peux que vous conseiller d’y aller.
Platée, Opéra national de Paris, jusqu’au 8 octobre

Note : en dépit de mes recherches, j’ai été incapable de trouver des photos du spectacle sur le site de l’Opéra, les rares illustrations viennent donc du site opera-online.