La fin de l’homme rouge

AlexievitchArmée d’un magnétophone et d’un stylo, Svetlana Alexievitch, avec une acuité, une attention et une fidélité uniques, s’acharne à garder vivante la mémoire de cette tragédie qu’a été l’URSS, à raconter la petite histoire d’une grande utopie. “Le communisme avait un projet insensé : transformer l’homme ancien le vieil Adam. Et cela a marché. En soixante-dix ans et quelques, on a créé dans le laboratoire du marxisme-léninisme un type d’homme particulier, l’Homo sovieticus.” Dans ce magnifique requiem, l’auteur de La Supplication réinvente une forme littéraire polyphonique singulière, qui fait résonner les voix de centaines de témoins brisés. Des humiliés et des offensés, des gens bien, d’autres moins bien, des mères déportées avec leurs enfants, des staliniens impénitents malgré le Goulag, des enthousiastes de la perestroïka ahuris devant le capitalisme triomphant et, aujourd’hui, des citoyens résistant à l’instauration de nouvelles dictatures.


Soyons francs, je ne connaissais pas cet auteur avant qu’elle reçoive le prix Nobel de littérature à l’automne dernier. Pourtant, il y aurait matière, compte tenu de mes origines et de celles de l’Anglais, à se plonger dans l’histoire de l’ex-bloc de l’Est (ma grand-mère a fui la Roumanie communiste car elle appartenait à une famille de propriétaires terriens – ses parents et sa sœur n’ont pas eu cette chance – et le père de l’Anglais est né et a vécu en URSS pendant 25 ans).
J’ai donc acheté le dernier ouvrage paru en français, qui cherche à montrer l’URSS telle qu’elle fut réellement et fantasmée. Les témoignages sont extrêmement variés, allant des responsables du Kremlin aux “petites gens” des campagnes, des ultra-communistes encore convaincus malgré les horreurs qu’ils ont pu vivre aux libéraux pourtant déboussolés par l’évolution très rapide de la Russie après la perestroïka…
On pourrait craindre la cacophonie, l’alignement factice d’images figées, mais ce n’est absolument pas le cas. J’ignore comment – et c’est sans doute sa force – mais Svetlana Alexievitch parvient à faire émerger une voix puissante, une voix qui dit l’URSS et la Russie, qui met en lumière, d’un bout à l’autre de l’ancien bloc soviétique, raconte son histoire, son présent, avec des redondances étonnantes, une “âme russe” telle que les témoins eux-mêmes essaient de la saisir.

C’est une lecture fascinante, mais également difficile : samedi, alors même que je n’arrivais pas à lâcher mon livre, mon moral a connu une baisse phénoménale, juste parce que j’étais profondément touchée par ce que je lisais. Cet ouvrage vous laissera sans doute à vif, peut-être même déprimé par l’humanité mais, paradoxalement, il a su me donner foi par certains aspects, et me faire comprendre ce peuple à la fois si proche et si éloigné (oui, c’est un poncif, je vous zute).
Du coup, même si j’ai décrété que mes deux ou trois prochaines lectures seraient légères et joyeuses, j’ai l’intention de lire les autres publications de l’auteur, en commençant sans doute par celle sur Tchernobyl.

La fin de l’homme rouge, Svetlana Alexievitch, Actes Sud

Reading Challenge 2016 : A book about a culture you’re unfamiliar with