Lâchetés parentales

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  1. Attendre que la Crevette dorme pour sortir le dessert.
  2. Voire ne sortir les gâteaux du placard que les jours où elle est chez la nounou.
  3. Faire disparaître planquer le jouet de l’enfer (mais si, celui qui fait du bruit / clignote / est affreux / chiant à ranger / tout ça à la fois) en feignant de ne pas savoir où il est.
  4. Dire “Tu feras ça chez Tata (aka, la nounou)” quand elle demande un truc qu’on n’a pas envie de faire. Au choix du dessin, des gommettes, de la pâte à modeler…
  5. Finir par céder à la cinquième dixième quinzième demande de grignotage parce que, vraiment, elle est soûlante.
  6. Acheter la paix sociale (notamment en voiture) à coups de petits beurres.
  7. La laisser vider intégralement la table basse de ses livres juste pour avoir la paix dix minutes.
  8. Faire semblant de ne pas entendre diverses réclamations.
  9. Se contenter de répondre “Oui” quand mademoiselle exprime la même chose pour la troisième fois et que je n’arrive toujours pas à comprendre ce qu’elle dit.
  10. Prétendre que j’ai mal au dos pour ne pas la porter (indice : ça ne marche pas très bien).
  11. Lui donner la becquée le soir en semaine pour que ça aille plus vite.
  12. Lui faire des guilis pour gratter un câlin en douce.

Quand vient l’heure de manger…

Aussi loin que je me souvienne, nourrir la Crevette a été compliqué pour moi. Qu’il s’agisse de l’allaitement, que j’ai vécu comme un esclavage (dans la douleur, en plus) et que j’ai arrêté très vite en culpabilisant à mort, ou de la diversification qui m’angoissait au plus haut point tant j’avais peur de reproduire le schéma familial, je n’ai jamais été sereine sur ce point (non, en fait, je n’ai jamais été sereine depuis mon accouchement, je crois).

cuillère

Toutefois, comme mademoiselle est d’une nature franchement agréable et conciliante, nous n’avons jamais eu de véritable problème avant janvier, et elle acceptait sans sourciller ce qu’on lui présentait, qu’il s’agisse de petit pot ou de purée maison. Sauf que. En décembre, elle a passé un mois à l’hôpital – rien de vraiment grave, mais un traitement long – au cours duquel nous l’avons nourrie exclusivement de petits pots (parce qu’attendre l’heure des repas n’était pas gérable). Et depuis son retour, elle refuse de manger autre chose.
Correction : elle refuse de manger autre chose à la maison. Chez sa nounou, elle peut rouspéter, chipoter, mais elle mangera ce qu’on lui présente. De mon côté, si j’ai le malheur de préparer quelque chose, je peux être certaine de me prendre un refus net et non négociable, ce que je vis excessivement mal (et encore, c’est un euphémisme). Dimanche dernier, j’ai cru que la partie était gagnée – j’aurais dû me méfier. Cette semaine, j’ai essuyé deux nouveaux refus avec deux nouveaux tests.

bledina

Outre que ça m’emmerde de gâcher de la nourriture, les refus de la Crevette me mettent dans un état épouvantable. J’ai l’impression de foirer complètement son éducation, d’être incapable de la sensibiliser au goût (pendant que sa nounou lui refile de la Vache qui rit, cette horreur) et, en gros, d’être une mauvaise mère. Je ne dis pas ça pour qu’on m’enfonce ou me soutienne, hein, c’est vraiment ce que je pense.
L’autre souci, c’est que ça me rend violente. J’ai envie de hurler, frapper, tout casser, pleurer… En général, je tiens bon jusqu’au coucher, après quoi je m’effondre dans un coin. Et je culpabilise d’autant plus que je sais que se crisper sur la nourriture est encore le meilleur moyen d’en dégoûter les enfants.

Aujourd’hui, je ne sais pas quoi faire. Je m’en veux horriblement de ne lui donner que des petits pots (surtout quand ma demi-sœur “mange du tofu et des crevettes depuis ses 6 mois”). J’essaie de me dire que je m’en fous, mais en fait non, et ça pourrit complètement ma relation avec ma fille. Si je pouvais déléguer l’intégralité des repas et même quitter la maison à ce moment-là, croyez-moi, je le ferais.
Je sais parfaitement que le rapport à la nourriture est étroitement lié au rapport à la mère, et que c’est une des raisons pour lesquelles ça bloque (les enjeux sont bien plus importants avec moi qu’avec la nounou, par exemple). Je soupçonne aussi très fortement les origines de mes crises d’angoisse, mais ce n’est pas pour autant que j’arrive à m’en défaire.
En fait, je pense que je ne me suis jamais sentie légitime dans mon rôle de mère, et que ce genre de situation me conforte dans cette idée. Je travaille dessus avec mon psy depuis que le souci s’est présenté. Mais je pense que la racine du mal est tellement profonde qu’il faudra encore des mois voire des années pour que je sorte la tête de l’eau sur ce sujet.
En attendant, je serre les dents à chaque repas. Et vous savez quoi ? Il y en a tous les jours.