Madame Butterfly

L’univers est parfois étrange. La première fois que je suis allée à l’opéra, c’était au début de mon année de 1ère où, encouragée par la lecture de Zweig, j’avais demandé à mon père de m’y emmener. Une semaine plus tard, nous étions au parterre pour écouter “Madama Butterfly” donc je ne savais rien. Hier soir, j’ai accompagné ma belle-mère, qui n’avait jamais vu cette oeuvre en “live”, à une nouvelle représentation… dans la même mise en scène (celle de Robert Wilson) !

Cheryl Barker (Cio-Cio San) Carl Tanner (F. B. Pinkerton)

Début du 20ème siècle. B. F. Pinkerton, officier de la marine américaine en séjour à Nagasaki, contracte un “mariage” temporaire avec Butterfly (aussi appelée Cio-cio-san – prononcez à l’italienne, ça donne tcho-tcho-san ; en japonais, “chô” veut dire “papillon). Cette dernière, âgée d’à peine 15 ans, est une geisha un peu naïve, très amoureuse, et s’est convertie au christianisme pour se conformer aux moeurs de son “époux”. Mais sa famille l’apprend et la renie. Le couple vit néanmoins dans le bonheur.
Nous retrouvons Butterfly plus tard, alors que Pinkerton est reparti aux Etats-Unis depuis trois ans. Vivant dans le déni, refusant de reconnaître que son mari l’a abandonnée et qu’elle n’est donc plus mariée, elle persiste à croire à son retour, d’autant qu’elle a eu un fils de lui. Le jour tant désiré arrive, mais l’officier ne se montre pas…

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Dix-sept ans (et oui…) après avoir vu cet opéra pour la première fois, je dois vous avouer un truc : je ne suis pas hyper fan de Puccini. Il faudrait que j’essaie d’autres œuvres, mais là, je l’ai trouvé assez pompier, à grand renfort de “poum-poum-poum” très caractéristiques de son époque. Toutefois, certains airs sont assez remarquables, imitant parfaitement la musique japonaise – ou du moins l’idée que l’Occident s’en fait – sans avoir recours à des instruments exotiques. On s’aperçoit aussi que le compositeur s’est amusé à insérer des phrases musicales tirées de la marche nuptiale ou de l’hymne américain, et cela marche. On est désormais dans de la musique exclusivement narrative, l’âge des grandes arias est clairement révolue, mais il y a tout de même des morceaux de bravoure.
Oksana Dyka en Butterfly est très bien, et tient toute la seconde partie sur ses épaules, bien plus que Piero Pettri en Pinkerton, qui était à la ramasse pendant le premier acte (ça s’est amélioré). J’ai en revanche beaucoup apprécié Gabriele Viviani en Sharpless, le consul américain, dont le timbre n’était pas noyé par l’orchestre (qui jouait fort).

Source
Photo Florian Kleinefenn – Source

Côté mise en scène… je suis plus partagée. Si les décors sont toujours magnifiques d’épure et de suggestion, j’ai tiqué sur les costumes, en particulier ceux du chœur. En effet, je les ai trouvés… datés, et j’ai clairement eu l’impression de me trouver face à une interprétation “zen” du Japon des années 80 (je ne sais pas si je suis très claire).
De plus, le jeu continuel de lumière projeté sur l’écran du fond, servant à la fois à illustrer les heures du jour et de la nuit, mais aussi les sentiments et les tensions dramatiques, m’a un peu fatigué les yeux ! Il me semble qu’on pourrait y apporter plus de subtilité.

Au final, il est assez drôle de constater que les adaptations de cet opéra reflètent généralement l’image exotique que l’Occident se fait du Japon. Il ne serait pas surprenant de découvrir, d’ici quelques années, une version totalement modernisée avec gadget électroniques et cosplay.
Cet opéra, bien qu’il ne fasse pas partie de mes préférés, tient néanmoins une place assez symbolique à mes yeux, quand on sait de quelle passion j’ai été prise pour le Japon, et que j’ai étudié l’image du Japon en France à partir de ce genre de représentations…

Madame Butterfly, Opéra Bastille, jusqu’au 13 octobre

Tosca

Dimanche après-midi, donc, c’était opéra. Une fois encore, nous avions choisi une oeuvre italienne, quoique beaucoup plus tragique que la précédente.

Rome, 1800. Au milieu des intrigues politiques et au cours de la journée de la bataille de Marengo, Floria Tosca, cantatrice jalouse, va condamner son amant, Mario Cavaradossi, peintre, poussée à la trahison par le chef de la police, Scarpia. Je schématise beaucoup, mais si j’entre dans les détails, on n’est pas rendu.
En fait, comme dans 90% (à vue de nez) des opéras, c’est une histoire tragique qui finit mal. Le happy end, ça fait beaucoup moins vendre.

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L’interprétation est magistrale : Marcela Alvarez en Cavaradossi, Martina Serafin en Tosca et Ludovic Tézier en Scarpia sont remarquables de justesse, de puissance, de nuance et de passion. Qu’il s’agisse d’échanger des serments amoureux à la limite du comique, de pousser des cris de souffrance ou de manifester la colère, tous les chanteurs vivent et font vivre les émotions de leurs personnages.
A ce titre, je salue la performance du deuxième acte, car je pense que mimer la scène où Scarpia tente de violer Tosca doit être extrêmement éprouvante.

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Au-delà de l’argument, il s’agit d’un plaidoyer politique, composé à la fin du 19ème siècle, contre la domination de Rome par l’Eglise et, surtout, pour la république et l’unité italienne. Puccini plante le décor d’une Rome sous domination policière plus ou moins fantasmée, où il fait la part belle aux artistes, dont l’engagement politique les mènera à la perte.
L’interprétation du metteur en scène, qui a choisi de placer une immense croix sur la scène, laquelle écrase ou domine alternativement  l’espace et les personnages, m’a paru un peu lourde (ah, ah). On sent une relecture assez anti-cléricale qui, je pense, n’était pas le propos original de l’oeuvre, mais il y a une part de grandiose comme de dépouillement à laquelle je ne suis pas du tout restée insensible.
Les moments instrumentaux, assez nombreux, sont bien mis en scène, que l’on montre un personnage abîmé en prière, en proie à la panique ou au désespoir.

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Est-ce que je recommande ? Oui, tout à fait. Même si c’est une oeuvre un peu plus exigeante que Le barbier de Séville, elle reste très abordable, dont l’histoire est lisible. Divisée en trois actes séparés par un entracte, elle a le mérite de ne pas lasser. Même si l’ambiance n’est pas à la réjouissance, on ne reste pas de marbre et on vibre au rythme de l’action et de ce déchaînement de passion.
Un bémol néanmoins : à la fin de la représentation, le chef de choeur n’a pas été invité à saluer au même titre que les autres artistes.

Toutes les photos sont tirées du site de l’Opéra de Paris.