Opéra Atelier Toronto : Actéon / Pygmalion

Actéon de Charpentier et Pygmalion de Rameau. Ces fameux mythes grecs, extraits des Métamorphoses d’Ovide, se transforment en chefs-d’œuvre lyriques fascinants entre les mains de deux des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique française.


J’adore l’opéra – je tiens ce goût de mon père – et j’ai une tendresse particulière pour l’opéra baroque. Or il se trouve qu’une compagnie d’opéra baroque réputée, l’Opera Atelier, est sise à Toronto, qu’elle donne deux spectacles par an, dont un pendant notre séjour, et que l’anniversaire de mon père tombe à peu près à cette période. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, c’était un cadeau tout trouvé.

Le pari de cette production est de présenter deux opéras en un acte, l’un de Charpentier, l’autre de Rameau, tous deux d’inspiration mythologique.
Dans Actéon, le héros éponyme est un roi chasseur qui, surprenant Diane au bain, est changé par cette dernière en cerf, et dévoré par ses propres chiens. La mise en scène est élégante, avec de très beaux décors et costumes, totalement dans le ton du 17ème siècle. L’immense point fort de la compagnie est qu’elle est composée à la fois de chanteurs et de danseurs, et ces derniers animent comme il se doit les spectacles par leurs chorégraphies.


Colin Ainsworth en Actéon est bien, même s’il a démarré le premier air visiblement à froid et que j’ai eu un peu d’inquiétude. Mais il s’est ensuite “lâché” pour culminer dans l’agonie du héros – à ce propos, j’ai beaucoup aimé l’idée de représenter sa métamorphose par une danse plutôt que par un costume chargé. J’ai retrouvé avec plaisir Allyson McHardy, entendue il y a quelques années dans le rôle d’Arcabonne dans Amadis de Gaule, à Versailles. En revanche, Mireille Asselin en Diane (puis dans le rôle de l’Amour dans le second opéra) était franchement un cran en-dessous. Hasard de la soirée ou réelle faiblesse ?
Les solistes comme les chœurs ont généralement une bonne diction (je dis “généralement” car j’ai assez peu compris l’un des solistes), si bien que nous avons pu suivre le livret sans avoir recours au surtitrage, ou presque.

Après un interlude pour violon et danseur assez peu utile à mon sens (bon, d’accord, la musique était belle), soi-disant pour créer un pendant au rôle d’Amour, le second opéra débute.
Pour Pygmalion, si Colin Ainsworth endosse de nouveau le rôle-titre, les solistes féminines se répartissent différemment : Mireille Asselin (toujours faible…) devient Amour, Allyson McHardy ne dispose malheureusement que de quelques secondes en Céphise, et Meghan Lindsay incarne la statue. Cette dernière est d’ailleurs bien plus à l’aise vocalement, et c’est un vrai plaisir de l’entendre. On peut ajouter à cela le tour de force consistant à rester parfaitement immobile pendant les dix premières minutes de l’oeuvre (j’avais des crampes aux bras pour elle).

Musicalement, c’est un peu bancal : Pygmalion chante une grosse moitié du livret, entrecoupé de longs intermèdes musicaux propices aux danses. Je n’ai rien à redire sur l’interprétation : Colin Ainsworth était dans son élément et a livré une très belle performance, tandis que les danseurs étaient à la fois drôles et légers.
Niveau décors et mise en scène, les créateurs se sont laissés aller à plus de fantaisie, notamment dans le tableau final (je n’en dis pas plus, ce serait dommage). La perspective et le fond de ciel donnent une impression de fantasme ou de rêve éveillé, les numéros dansés sont l’occasion de rire un peu.

Au final, c’était charmant. J’ai passé une excellente soirée, écouté et vu avec plaisir de l’opéra et de la danse baroques, et je recommencerai volontiers l’expérience avec cette troupe.
Alors, certes, c’est à Toronto, mais si j’en parle, c’est aussi parce qu’ils seront en représentation à l’opéra royal de Versailles fin novembre-début décembre. Et quelque chose me dit que, dans ce décor et avec cette acoustique, le résultat n’en sera que plus beau.

Opera Atelier Toronto à Versailles, du 30 novembre au 5 décembre 2018

“L’insoumise”

DesevreEn France, sous le règne de François Ier, Raphaëlle Aslet, orpheline spoliée de ses biens, est initiée à l’art de l’orfèvrerie. A dix-huit ans, elle est passée maître dans la création de joyaux originaux. Résolue à vivre de sa pratique, elle se rend à Paris afin d’y exercer ses talents. Mais dans une corporation où l’art est uniquement professé par des hommes, elle doit affronter la misogynie : ambitions, rivalités, vengeances… les orfèvres cherchent à l’évincer par tous les moyens. A cette malveillance s’ajoute la jalousie de Margaux, l’épouse du chevalier Guillaume de Valras dont Raphaëlle est éperdument amoureuse.


J’ai découvert l’unique autre roman de Martine Desèvre, Serena, lors d’un séjour en Thaïlande (enfin, au Club Med) quand j’avais 14 ans. J’en gardais le souvenir d’une histoire haletante et épique – au point de pourchasser ce livre sur les sites spécialisés pendant des années – et j’ai toujours espéré qu’elle publie un autre roman. Chose faite cette année, et la version poche est sortie juste à temps pour les vacances. Je me suis donc ruée dessus telle l’affamée, et je n’ai pas été déçue, bien au contraire.

A titre personnel, j’adore les romans historiques, à condition qu’ils soient bien documentés et, de préférence, bien écrits. Mais là, quel plaisir ! J’ai dévoré les aventures de Raphaëlle, jeune femme au tempérament fougueux mais qui vit à l’écart de la société très normée de cette époque charnière, tant au plan politique qu’artistique ou religieux. C’est une femme qui cherche à exercer un métier d’homme, qui veut se tailler une place dans une période qui ne laisse encore que peu de place à l’indépendance.
L’auteur a une capacité à nous plonger dans la vie quotidienne des nobles, de la cour, mais aussi des artisans, décrivant par le menu leur façon de travailler ou de commercer, la manière dont étaient organisées les corporations… Le contexte politique – guerres d’Italie et rivalité avec Charles Quint – et religieux – apparition de la Réforme – est également bien expliqué sans que cela soit fait de façon pédante ou scolaire.
Enfin, l’histoire est haletante, qu’il s’agisse du destin professionnel de l’héroïne comme de son histoire d’amour – qui n’est pas forcément au premier plan du roman – et on ne peut s’empêcher de tourner les pages pour arriver au chapitre suivant. Je n’ai qu’un seul petit bémol : j’ai trouvé que l’auteur s’acharnait un peu trop sur l’héroïne à la fin, et j’aurais souhaité un dénouement plus apaisé. Par ailleurs, ne vous fiez pas à la couverture qui montre une jeune femme blonde aux yeux bleus (l’héroïne est rousse aux yeux verts…) dans une tenue que l’on pourrait qualifier de mauvaise réinterprétation de la mode “médiévale”, le contenu est bien meilleur.
Quoi qu’il en soit, c’est un très bon roman, que je vous recommande si vous êtes fan du genre.

L’insoumise, Martine Desèvre, J’ai Lu