Une vie de privilèges

Je suis née blanche, dans une famille mixte (père juif, mère vaguement catholique), et j’ai grandi dans un milieu très peu mélangé. A part en CM1, lorsque j’ai été scolarisée à Paris intra muros, je n’ai jamais réellement été en contact avec la diversité ou les personnes racisées, que ce soit à l’école, dans ma vie quotidienne, mes loisirs ou, plus tard, dans mes études. Cela a véritablement commencé dans ma vie en entreprise, et même alors, si la diversité était présente, je ne me suis pas posé de question.

Car c’est là que le bât blesse : je suis dans une position où il est facile de ne pas se poser de question, de reconnaître les efforts des autres / de la société, mais de ne pas s’interroger plus avant. Je suis blanche, éduquée, d’un milieu aisé, et même si j’ai quelques casseroles, jamais je n’ai eu peur d’être contrôlée par la police (j’ai même pu franchir un barrage au cours d’une manif étudiante dans laquelle je m’étais retrouvée coincée), jamais je n’ai craint qu’on m’agresse pour ma couleur de peau (je suis une femme, j’ai vécu d’autres types d’agressions, mais j’ai au moins échappé à ça), jamais quelqu’un n’est venu me toucher les cheveux (mais pourquoi, bordel ??)… La liste est longue, interminable même, mais elle ne me concernait pas. Pas vraiment, même si, bien sûr, le racisme c’est mal.

Je suis passée à deux reprises de l’autre côté de la barrière mais, là encore, dans des conditions particulières et temporaires. Lorsque j’ai vécu au Japon, j’étais souvent la seule blanche dans le train / la boutique, etc. Mais j’étais blanche, j’étais française (vous n’imaginez pas la fascination qu’on exerce sur les Japonais dans ces conditions, surtout si on baragouine leur langue), j’étais scolarisée dans une université très réputée, et si j’étais regardée avec insistance, je n’ai jamais ressenti de haine ou d’intolérance à mon égard.
Puis, au cours de notre voyage de noces, en visitant le centre de l’Australie (en particulier Uluru), j’ai eu la très nette sensation d’être une intruse. Ma place n’était pas ici, peut-être pas à cause de ma couleur de peau, mais parce que je représentais tous ces colons qui avaient massacré le peuple aborigène, et qui en plus se baladaient sur leurs terres.
Dans ces deux occurrences, néanmoins, j’avais la certitude que cela ne durerait pas, et j’avais suffisamment appris à ne pas devoir m’excuser d’être là.

Je suis pétrie de préjugés. J’avoue ne jamais avoir pris le temps ou la peine de demander à mes quelques amis racisés ce qu’ils pouvaient subir comme discriminations. Je lutte pour changer de perspective, mais le chemin est long et difficile, malcommode. Ce n’est jamais agréable de sortir de sa zone de confort. Comme en plus j’ai horreur du conflit, j’évite tout sujet polémique en public (et j’inclus notamment les réseaux sociaux). Ca ne veut pas dire que je suis insensible à ces luttes, que je suis ignorante de ces questions, que je ne me documente pas / questionne pas. Mais il est évident que jamais je ne pourrai comprendre réellement ce que vivent les personnes noires, métisses, et toutes celles et ceux discriminés quotidiennement.
Néanmoins, je peux promettre de m’éduquer, d’éduquer mes enfants et de me tenir aux côtés de ceux qui luttent pour leurs droits.