Eliogabalo

A Rome, l’empereur Eliogabalo suscite l’indignation par son comportement : il cherche à séduire toutes les femmes, avec ou sans leur consentement, se comporte de façon excentrique et indigne. Tentant d’assouvir ses désirs au mépris des conventions sociales et politiques, l’empereur se met peu à peu la cour et le peuple à dos, tandis que la révolte gronde…

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Voilà, à très gros traits, la trame de cet opéra, qui met aussi en scène deux couples d’amoureux contrariés, une nourrice retorse, un sous-fifre affreux et une jeune fille innocente, dans la plus pure tradition de l’opéra baroque italien. Cavalli a créé cet opéra pour le carnaval vénitien, mais l’oeuvre ne fut jamais montée de son vivant. Vite tombée dans l’oubli, elle ne fut ressuscitée qu’en… 1999 ! C’est cette année son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris.

Par où commencer ? Peut-être par le plus évident : la musique. Dès les premières notes, exécutées avec brio par l’orchestre Cappella Mediterranea, on retrouve tous ces motifs propres au 17ème siècle, ces envolées que ne peuvent évoquer que les instruments anciens. Tout de suite, j’ai eu l’impression d’entendre la parfaite synthèse entre Monteverdi et Lully, sentiment qui ne s’est pas démenti un seul instant.
Les chanteurs interprètent leurs personnages avec une force et une conviction poignantes. A ma grande surprise, deux rôles masculins d’importance – Eliogabalo et Giuliano – étaient interprétés par des haute-contre. Non que le recours à ce genre de voix soit rare, mais deux dans une seule oeuvre, je ne crois pas en avoir déjà entendu. Je pourrais englober l’intégralité de la distribution dans mes louanges tellement j’ai été transportée dans cet opéra – alors qu’en arrivant, je me suis quand même dit : “3h40, ça va être long”.

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Mais au-delà de l’interprétation, il faut souligner l’importance du travail de Thomas Jolly, le metteur en scène, dont c’étaient les premiers pas à l’opéra. En fouillant dans ce qu’il qualifie de “légende noire” du personnage – historique – d’Héliogabale, il nous livre une vision toute en nuances de ce personnage et du propos de l’oeuvre. Car au final, c’est un opéra qui pose beaucoup de questions sur le genre, l’identité, sur ce qui définit un personnage comme “efféminé” ou pas, sur le chaos ou l’ordre…
La mise en scène est d’une grande intelligence et d’une grande modernité, autour d’un élément de décor toujours en mouvement, symbolisant les différents lieux de l’histoire. J’ai adoré également les “effets spéciaux” comme le bain d’or (je n’ai toujours pas compris comment c’était possible) ou le vol de chouettes. Le jeu de lumières, créé par Antoine Travert, suggère d’un simple rayon une salle à colonnes, un emprisonnement mental, un soir de fête… ces lumières, partie intégrante de la pièce, ont été une véritable révélation pour moi.

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Les costumes de Gareth Pugh ne sont pas non plus en reste tant ils soulignent l’extravagance et la décadence du personnage d’Eliogabalo et de ses comparses. A l’inverse, le dépouillement de personnages “droits” comme Alessandro et Gemmira n’exclut par forcément le gore ou la déviance.
Au final, c’est un spectacle entier, une relecture hyper moderne d’une pièce dont le propos, semble-t-il, est plus d’actualité que jamais, et dont la musique et les interprètes m’ont transportée. 3h40, certes, mais qu’on ne voit pas passer et dont on ressort à la fois léger de tant de beauté et grave de toutes ces réflexions.

Eliogabalo, Palais Garnier, jusqu’au 15 octobre