Ma vie avec Alan Rickman

Si je n’ai pas été très influencée par David Bowie, il n’en a pas été de même pour Alan Rickman. Ses films, ses personnages, sa voix si caractéristique m’ont accompagnée tout au long de ma vie de (pseudo)cinéphile.

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Je me souviens de ma première véritable peur à l’écran, incarnée par le shérif de Nottingham dans Robin des bois, prince des voleurs. J’avais vu le film au cinéma à sa sortie (à 9 ans…), et il représentait une mélange de froideur, de démesure et de déséquilibre particulièrement flippant.

Je me souviens de Hans Gruber, le frère de Simon Gruber dans la série Die Hard (j’ai vu le trois avant les autres). Sa mort à l’écran m’a beaucoup marquée, autant que les répliques cultes de Bruce Willis.

Je me souviens du Colonel Brandon, que j’ai toujours trouvé bien brave de s’accrocher à cette dinde de Marianne Dashwood (si). Alan Rickman l’avait interprété avec beaucoup de justesse et de pudeur.

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Je me souviens du professeur Lazarus joué par Alexander Dane, énorme clin d’oeil à la carrière IRL de l’acteur, avec ses cinq rappels pour “Richard III” (Par le marteau de Grabthar !).

Je me souviens de Harry, le “méchant” mari de Love Actually, notre film de Noël à l’Anglais et moi, notre rituel de fin d’année, que nous avons vu, revu et appris par cœur.

Je me souviens de Marvin, le robot dépressif qui trouvait tout désespérant et qui nous a fait hurler de rire, mon père et moi.

Je me souviens, à mon grand dam, de ce film parfaitement oubliable qu’est Les jardins du roi (j’en avais publié une critique assassine que je ne renie pas).

Pourtant, j’avoue ne pas garder un souvenir plus marquant que cela du professeur Rogue – sans doute parce que, si j’ai beaucoup aimé les romans, notamment les premiers, je suis passée à côté des films car trop âgée / pas assez fan.

Mais ce soir, j’ai un sale coup au moral. Pour moi, Alan Rickman faisait partie de ces personnages quasi-légendaires quoique profondément humains, dont on aurait voulu croire qu’ils étaient éternels. J’espère que, où qu’il soit, il peut encore exercer son esprit caustique et ses haussements de sourcils.

Les jardins du roi

Souhaitant profiter d’une de nos rares soirées à deux, Monsieur et moi sommes allés au cinéma hier soir. Après Avengers, j’avais proposé Les jardins du roi : Alan Rickman et Kate Winslet dans un film en costumes qui parlerait de Versailles, ça ne pouvait pas être mauvais. Nous avions tort. C’était pire.

jardins du roiAu XVIIème siècle, Louis XIV ordonne à son jardinier royal, André Le Nôtre, d’y créer un véritable Eden. Recherchant l’originalité, Le Nôtre fait appel à Sabine de Barra en vue de la création de la salle de bal extérieure. Mais l’audacieuse architecte paysagiste va vite apprendre qu’à la cour, le talent ne suffit pas et qu’il faut aussi savoir naviguer dans ses intrigues. Et tandis que son prestige grandit, elle se sent de plus en plus attirée par Le Nôtre…


Par où commencer ? Par la scène d’introduction, peut-être : en 1682, à Paris, dans la chambre d’un hôtel particulier bourgeois, semble-t-il, Louis XIV est réveillé par ses enfants, notamment son fils qui lui annonce qu’il a souillé sa chemise (je vous jure que je n’invente rien). Bon. Petit rappel : en 1682, Louis XIV a 44 ans et n’a plus qu’un enfant légitime, le Grand Dauphin, déjà adulte. Mais c’est un parti pris, soit.
Les incohérences temporelles s’enchaînent : le Roi-Soleil réside au Louvre, en plein cœur de Paris (il est de notoriété publique qu’il n’aimait pas la ville et que la cour était itinérante), dans des appartements à la déco 17è-18è, Marie-Thérèse d’Autriche (la reine) meurt un an trop tôt, André Le Nôtre est un jeune premier (il a 70 ans à l’époque…). Les plus grands dignitaires de la cour s’interpellent quasiment en se tapant dans le dos, la princesse Palatine (belle-soeur du roi) se fait appeler “Palatine” et non “Madame”, cette dernière entretient d’ailleurs une relation très amicale avec Mme de Montespan (alors qu’elles ne pouvaient pas s’encadrer et que, quand le fils de la Palatine a annoncé qu’il acceptait d’épouser la fille bâtarde de Louis XIV et la Montespan, elle lui a retourné une gifle en pleine galerie des glaces)… J’en passe.
Mais on va encore dire que je suis une history geek, que je raffine et qu’en faisant abstraction de mon foutu oeil critique, on peut passer un bon moment.

LES JARDINS DU ROI PHOTO4Même pas. Déjà, le scénario est tellement évident et cousu de fil blanc qu’au bout de cinq minutes on a pigé le moindre rebondissement. En fait, si vous avez vu la bande-annonce, vous avez vu le film.
On se dit qu’on va explorer des thèmes comme la place de la femme dans la société du 17è siècle, la lutte de l’héroïne pour s’imposer dans un univers d’hommes où il est évident qu’on la méprise, le rapport de l’être humain à la nature qu’il admire tout en voulant la domestiquer, la vie à la cour où il faut concilier exigences royales et réalités matérielles. Oui, mais non.

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Qu’à cela ne tienne, on se plongera dans une belle histoire d’amour. Ou pas. Ainsi, on sent que tout le monde pousse Le Nôtre et Sabine dans les bras l’un de l’autre mais qu’eux-mêmes ne savent pas trop quoi faire. La scène où ils passent enfin à l’acte doit être la scène de cul la plus emmerdante que j’aie vue au cinéma. Les éventuelles difficultés (Le Nôtre est marié, mine de rien) sont évacuées d’un claquement de doigt, le deuil de l’héroïne, qui la poursuit depuis plus d’1h30, est réglé en quelques plans…

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Il y a de l’intrigue, alors ? Une histoire de jalousie entre la légitime et la maîtresse, d’ambitions adverses peut-être ? Euh… Oui, vaguement. Mais c’est tellement mal introduit et avec un deus ex machina (moi quand je sabote un chantier, j’oublie toujours mon gant si reconnaissable sur les lieux du crime…) tellement téléphoné que c’en est risible.
En outre, les répliques tombent à plat, le scénario lance des pistes sans les explorer ou en te disant “c’est comme ça” (les acteurs ont l’air de se comprendre à demi-mot mais toi, non), la fin est bâclée et invraisemblable (tu viens de danser avec le roi qui vient de te féliciter pour l’oeuvre de ta vie, mais tu te barres dans les bois), le montage est dépourvu d’imagination (voire carrément scolaire).

Non mais sérieusement ?
Non mais sérieusement ?

Mais le pire… Le pire, ce sont les costumes. Je pense qu’il faudrait pendre le responsable de cette débâcle absolue.
Je m’explique : compte tenu de la mode assez peu flatteuse, surtout pour les hommes dans les années 1680 (la rhingrave n’a jamais avantagé personne, je pense), les costumiers choisissent généralement d’habiller les personnages à la mode de 1700 parce que c’est plus seyant. Soit. C’est un parti pris tout à fait compréhensible vu que les esthétiques évoluent nettement et que le rendu nous perturberait sans doute trop pour nous intéresser à l’histoire.
Mais là, le souci, c’est qu’on trouve des éléments allant de la Renaissance au 19ème siècle ! A un moment donné, Palatine se balade en chausses et pourpoint (pourquoi ?) à la mode de Henri III (en gros : culotte très bouffante et très courte rembourrée de crin). L’instant d’après, l’épouse de Le Nôtre porte une robe qui paraît montée sur un vertugadin (Renaissance) mais ornée de perles à la façon d’une robe de soirée Belle Epoque. Il n’y a pas deux tenues raccord, je passe sur les laçages dans le dos bien visibles, les tenues où la jupe et le corsage ont du jeu et laissent voir un espace de plusieurs centimètres, les corsets portés sur les robes, les coiffures invraisemblables (Kate Winslet se balade tête nue en pleine rue, ça ne dérange personne, puis elle arbore une horreur 1910).
La note finale vient des tissus : si les actrices font l’effort de porter des corsets (alléluïa), leurs robes sont taillées dans des étoffes de mauvaise qualité qui plissent ou font ressortir les détails de leurs sous-vêtements. Les motifs choisis sont particulièrement hideux, tendance rideau de grand-mère (Le Nôtre porte même un ensemble veste et gilet à motifs géométriques…), on trouve des rayures et des carreaux partout (motifs qui n’apparaîtront qu’un voire deux siècles plus tard), tout fait toc. Même Alan Rickman, censé incarner Louis XIV, porte une veste et un gilet mal taillés !

Arrêtez-moi si je dis une connerie, mais ceci est un corset 18ème
Arrêtez-moi si je dis une connerie, mais ceci est un corset 18ème

Au final, c’est un désastre, et je me suis excusée à de multiples reprises d’y avoir emmené l’Anglais. Nous avons failli partir au bout d’une demi-heure, malheureusement un couple s’était installé entre nous et la sortie. Comme lors de la scène de l’orage, le film prend l’eau de toutes parts, et le spectateur avec.
Plutôt que de payer le billet, offrez-vous une place pour admirer les Grandes Eaux musicales de Versailles. Vous pourrez même admirer le fameux bosquet de la salle de bal.