Alors, heureuse ?

021

Pour être honnête, je ne sais plus si on m’a vraiment dit ça mais, en substance, c’était l’idée. Car de nos jours, maternité rime forcément avec bonheur absolu. Autant vous le dire tout de suite : c’est très surfait.

Pourtant, tout avait bien commencé : j’ai passé toute ma grossesse sur un nuage, shootée aux hormones et au soulagement d’y être enfin (nous en étions à 18 mois de tentative, ça commençait à faire long). Dans mon bonheur, j’avais même la chance d’échapper à la plupart des maux dont sont affublées les femmes enceintes (quelques remontées acides, une forte baisse de mon envie de sucre les trois premiers mois et des mycoses, pas de quoi fouetter un chat). En fait, j’ai découvert un truc incroyable pour moi qui suis une grande angoissée : la sérénité. J’étais zen. Rien ne pouvait m’arriver. Tout allait bien se passer.
Autant couper court au suspense : ça n’a pas duré.

Pour des raisons physiologiques, il a fallu programmer une césarienne – ce qui ne m’a pas dérangée plus que cela. Du coup, pour l’aspect “surprise”, on repassera. D’un côté, c’était un soulagement de savoir quand cela allait arriver. D’un autre, l’idée de me faire ouvrir le bide ne me réjouissait que moyennement, hein.
L’opération m’a également conféré l’immense privilège de passer 6 jours à l’hôpital. 6 jours de bouffe de cantine et de passages intempestifs dans la chambre toutes les 10 à 40 minutes. 6 jours où l’Anglais devait s’éclipser le soir et revenir le lendemain après-midi, nous laissant seules, la Crevette et moi.
Au troisième jour, comme tout le monde, j’ai eu ma descente d’hormones et son partenaire inévitable : le baby blues. Ca a commencé quand le pédiatre m’a donné les consignes pour éviter la mort subite du nourrisson et… ça ne s’est pas arrêté, en fait.

J’ai eu beau parler à la sage-femme, à la psy de l’hôpital, aux membres du personnel soignant… Rien n’y faisait. Une immense angoisse m’étreignait, un poids m’écrasait : celui de la responsabilité de cette nouvelle vie.
De retour à la maison, ça ne s’est pas arrangé. L’Anglais a pris près de trois semaines de congés pour rester avec nous et m’aider, mais il a dû retourner au boulot. Quand je me suis retrouvée seule avec mon bébé pendant 10h d’affilée la première fois, j’ai cru que je ne survivrai pas. Même si ça s’améliorait parfois, je replongeais toujours. L’angoisse quasi étouffante, paralysante. La certitude de ne pas être à la hauteur, la vertigineuse sensation d’impuissance.

Pendant six à huit semaines, j’ai vécu dans une espèce de tunnel d’angoisse, d’épuisement et de découragement. Il m’arrivait de pleurer une heure d’affilée en regardant mon si beau bébé (je ne mens pas, je suis persuadée que c’est le plus beau bébé du monde) dormir paisiblement ou hurler à la mort parce qu’elle avait faim (ou autre chose que je n’arrivais pas à décrypter). J’ai arrêté d’allaiter très vite pour me protéger : je souffrais le martyre à chaque tétée et la Crevette n’arrivait pas à prendre correctement. Les quelques remarques plus ou moins maladroites, plus ou moins malintentionnées qui n’ont pas manqué de fuser sur cet arrêt rapide et brutal en ont encore rajouté une couche (non, sortir “déjà” à une jeune mère épuisée qui vous annoncer au bout d’une semaine qu’elle ne donne plus le sein parce qu’elle n’en peut plus n’est pas une bonne idée – même si c’est involontaire).
A une ou deux reprises, l’idée de disparaître m’a effleuré l’esprit.
J’avais mon psy deux fois par semaine au téléphone, des séances que je passais à pleurer en répétant que je n’étais pas à la hauteur et que je n’y arriverais jamais. Petit à petit, au sentiment d’impuissance est venu se greffer la terreur de m’ennuyer, de me retrouver confinée à jamais chez moi et de ne plus pouvoir sortir de ce rôle (attention, ceci n’est pas une critique des femmes qui ont choisi d’élever leurs enfants, c’est un souci propre à mon vécu).

Et puis un jour, les choses ont commencé à aller (beaucoup) mieux : la Crevette a décidé de faire ses nuits à 8 semaines, l’Anglais a commencé un nouveau travail certes plus prenant mais beaucoup plus enrichissant pour lui, j’ai pu recommencer à lire et même à écrire… Ma psy m’a donné la dernière impulsion en m’assénant que j’avais désiré cet enfant et que je devais maintenant assumer mon désir. Il a bien fallu.

Étonnamment, jamais, au cours de ce long épisode, je n’ai regretté d’avoir un enfant. J’ai même immédiatement commencé à faire des projets pour un deuxième (je vous rassure, on va attendre un peu). Aujourd’hui encore, changer les couches et donner le biberon me gonfle (eh oui…) mais je profite des sourires et des mimiques de mon bébé. J’adore la voir ouvrir de grands yeux et prendre un air concentré pour observer ce qui l’entoure. Je ne cesse de m’extasier de son babil, de sa façon de sucer son pouce (qui est également synonyme de relatif silence !), de découvrir ce qu’elle aime et ce qu’elle déteste…

Avec le recul, je pense que je suis passée très, très près de la dépression post-partum, la vraie, celle qui peut pousser certaines femmes à se suicider ou à tuer leurs enfants. Aujourd’hui, je sais pourquoi on voit fleurir des affiches dans les maternités pour enjoindre aux parents de ne surtout pas secouer leur bébé.
Ma chance a été d’être extrêmement bien entourée : l’Anglais s’est investi sans compter les premières semaines puis autant que possible quand il a repris le travail ; ma psy m’a aidée à déchiffrer et défricher les raisons de cet horrible malaise ; ma mère et ma belle-mère m’ont permis de dormir quelques heures en venant garder la Crevette, en faisant mes courses ou mon ménage ; ma copine Isa a parfois passé plus d’une heure au téléphone avec moi, rognant sur sa vie personnelle et professionnelle, juste pour m’écouter et me rassurer…

Je pourrais conclure en disant que tout est bien qui finit bien. Je n’en suis pas certaine, j’ai des moments de rechute (le dernier en date de quelques jours). Mais tout va beaucoup mieux à présent.
J’ai découvert une chose assez bouleversante : oui, on peut aimer de façon inconditionnelle. Par exemple, j’aime ma famille parce qu’ils sont là depuis toujours, j’aime l’Anglais à cause de son humour, de son optimisme et de son soutien indéfectible dans tout ce que j’entreprends (j’y reviendrai un jour). Mais avec ce bébé, c’est différent, instinctif, presque animal (je pense que beaucoup de mères de famille me comprendront). Cet amour n’est pas un problème, mais sa découverte secoue !
Surtout, la naissance de la Crevette semble avoir débloqué beaucoup de choses en moi, notamment mon désir (pas au sens sexuel du terme, hein, de façon plus large). J’ai envie de faire une foule de choses, notamment des choses que je repousse aux calendes grecques depuis des années. Et du coup, j’ai mis plein de choses en branle. Je sens qu’on va bien rire dans les mois qui viennent, tiens.