Quand vient l’heure de manger…

Aussi loin que je me souvienne, nourrir la Crevette a été compliqué pour moi. Qu’il s’agisse de l’allaitement, que j’ai vécu comme un esclavage (dans la douleur, en plus) et que j’ai arrêté très vite en culpabilisant à mort, ou de la diversification qui m’angoissait au plus haut point tant j’avais peur de reproduire le schéma familial, je n’ai jamais été sereine sur ce point (non, en fait, je n’ai jamais été sereine depuis mon accouchement, je crois).

cuillère

Toutefois, comme mademoiselle est d’une nature franchement agréable et conciliante, nous n’avons jamais eu de véritable problème avant janvier, et elle acceptait sans sourciller ce qu’on lui présentait, qu’il s’agisse de petit pot ou de purée maison. Sauf que. En décembre, elle a passé un mois à l’hôpital – rien de vraiment grave, mais un traitement long – au cours duquel nous l’avons nourrie exclusivement de petits pots (parce qu’attendre l’heure des repas n’était pas gérable). Et depuis son retour, elle refuse de manger autre chose.
Correction : elle refuse de manger autre chose à la maison. Chez sa nounou, elle peut rouspéter, chipoter, mais elle mangera ce qu’on lui présente. De mon côté, si j’ai le malheur de préparer quelque chose, je peux être certaine de me prendre un refus net et non négociable, ce que je vis excessivement mal (et encore, c’est un euphémisme). Dimanche dernier, j’ai cru que la partie était gagnée – j’aurais dû me méfier. Cette semaine, j’ai essuyé deux nouveaux refus avec deux nouveaux tests.

bledina

Outre que ça m’emmerde de gâcher de la nourriture, les refus de la Crevette me mettent dans un état épouvantable. J’ai l’impression de foirer complètement son éducation, d’être incapable de la sensibiliser au goût (pendant que sa nounou lui refile de la Vache qui rit, cette horreur) et, en gros, d’être une mauvaise mère. Je ne dis pas ça pour qu’on m’enfonce ou me soutienne, hein, c’est vraiment ce que je pense.
L’autre souci, c’est que ça me rend violente. J’ai envie de hurler, frapper, tout casser, pleurer… En général, je tiens bon jusqu’au coucher, après quoi je m’effondre dans un coin. Et je culpabilise d’autant plus que je sais que se crisper sur la nourriture est encore le meilleur moyen d’en dégoûter les enfants.

Aujourd’hui, je ne sais pas quoi faire. Je m’en veux horriblement de ne lui donner que des petits pots (surtout quand ma demi-sœur “mange du tofu et des crevettes depuis ses 6 mois”). J’essaie de me dire que je m’en fous, mais en fait non, et ça pourrit complètement ma relation avec ma fille. Si je pouvais déléguer l’intégralité des repas et même quitter la maison à ce moment-là, croyez-moi, je le ferais.
Je sais parfaitement que le rapport à la nourriture est étroitement lié au rapport à la mère, et que c’est une des raisons pour lesquelles ça bloque (les enjeux sont bien plus importants avec moi qu’avec la nounou, par exemple). Je soupçonne aussi très fortement les origines de mes crises d’angoisse, mais ce n’est pas pour autant que j’arrive à m’en défaire.
En fait, je pense que je ne me suis jamais sentie légitime dans mon rôle de mère, et que ce genre de situation me conforte dans cette idée. Je travaille dessus avec mon psy depuis que le souci s’est présenté. Mais je pense que la racine du mal est tellement profonde qu’il faudra encore des mois voire des années pour que je sorte la tête de l’eau sur ce sujet.
En attendant, je serre les dents à chaque repas. Et vous savez quoi ? Il y en a tous les jours.

5 thoughts on “Quand vient l’heure de manger…”

  1. Bonjour,
    On ne se connaît pas, je vous lis grâce au blog au fil d’Isa. Ce blocage paraît surtout dû à cette longue hospitalisation, et non à votre échec en tant que mère nourricière ! Et puis souhaiter que son enfant mange autre chose que des petits pots, c’est quand même pas une preuve de névrose, hein…
    Pour moi, il faudrait lâcher prise et arrêter d’acheter des petits pots. Faire pour tout le monde des plats qu’elle peut manger, et ne présenter qu’un menu à table (si possible avec plusieurs trucs à piocher dedans histoire qu’elle ait quand même l’impression de choisir). Et, plus facile vu de loin, accepter qu’elle ne mange pas (faisable seulement si elle est en bonne santé, bien sûr.)

  2. Je rejoins le commentaire précédent, dans l’idée que posé comme cela, son blocage est visiblement dû à cette hospitalisation. Dans une mesure tout à fait autre, cela me rappelle lorsque j’étais enfant (4 ans environ) et que j’avais décidé de préférer la margarine au beurre. Pas question que mes parents m’en fasse manger à nouveau après ce séjour passé chez ma grand-mère, qui mangeait de la margarine. Plus une affirmation de personnalité qu’une affaire de goût, j’ai l’impression que la crevette essaye de te tenir tête. Le goût, comme tu en avais parlé il y a quelque temps, ça se travaille, pas seulement enfant. Alors essaye de te détendre (même si c’est plus facile à dire qu’à faire, je suis d’accord!)

  3. N’ayant pas d’enfant, je ne sais pas trop quoi te dire si ce n’est que tu sembles avoir mis de toi-même le doigt sur le problème (la période d’hospitalisation — peut-être tombée au moment où La Crevette se faisait son éducation culinaire ?) et qu’il ne te reste plus qu’à faire la transition vers la déculpabilisation. Plus facile à dire qu’à faire, je sais.

    Sur un plan pragmatique, je te dirais que j’ai été nourrie avec des petits pots (et du tôfu certes mais c’est un peu normal, et prout aux autres) 🙂

    Pour les sôba de la dernière fois, si tu lui refais la même chose, est-ce qu’elle en mangerait ?

    Autrement, qu’en dit votre pédiatre ?

    Enfin, je suis TRÈÈÈÈS naïve mais tu pourrais la duper en mettant tes préparations maison dans d’anciens petits pots ? Et petit à petit, tu mets plus de purée maison sur son assiette jusqu’à te débarrasser des petits pots ? Je sais, c’est une humaine, pas un chat.

  4. Je découvre seulement maintenant ce billet (ah oui, je prends un sacré recul par rapport aux réseaux sociaux et aux blogs) et j’ai avant tout l’envie de te rassurer car on ressent bien ton angoisse à la lecture de ton texte.
    J’ai la même préoccupation vis-à-vis de la nourriture pour mes enfants alors qu’ils ne sont pas difficiles du tout (la miss adore les légumes, le petit mange même des fromages qui puent). Mais cela ne suffit pas à faire taire l’anxiété et la frustration qui le submergent lorsque l’un des deux s’avise de chipoter ou de refuser.
    Jeter la nourriture me rend dingue mais ce n’est pas la seule explication, je le sais. Les débuts de l’allaitement pour Poupette ont été tellement calamiteux que j’ai trainé la peur d’être une mauvaise mère pendant… Oh attends, elle est toujours quelque part.
    J’ai remarqué que l’abandon des petits pots s’était fait plus facilement pour Poupon qui mangeait en même temps que nous et qui s’est mis à picorer dans nos assiettes au point de délaisser la sienne. En quelques semaines, je n’ai plus eu à lui préparer un menu séparé: il manque comme nous depuis qu’il a dix-huit mois! (Sauf pour la friture, mais j’en fais très rarement )
    J’ai aussi appris à faire confiance à leur appétit: ils ne se laisseront pas mourir de faim. Lorsqu’il m’est arrivé d’insister pour qu’ils mangent, je l’ai bien regretté (changer des draps à dix ou onze heures du soir, c’est pas le panard)
    Donc, plein d’encouragement et non, tu n’es pas une mauvaise mère parce que tu ne donnes pas ceci ou cela a manger a ta Crevette. Laisse tomber les comparaisons, chaque enfant a son rythme, chaque parent fait comme il peut. Tu n’as personne à contenter dans l’affaire hormis ta petite et toi.
    Bises

  5. Ici les aînées ont été nourries de petits pots jusqu’à bien deux ans et j’avoue que je ne me suis pas sentie mauvaise mère pour autant: il se trouve que dans l’organisation, elles mangeaient avant nous… Mademoiselle Troisième n’a jamais fait mine de s’y intéresser et mange comme nous depuis ses deux mois, mais il faut dire qu’elle mange en même temps que nous quatre et qu’elle adore piocher!
    Ne te prends pas la tête là-dessus, je pense que pour le moment ça lui plaît, comme une marotte, elle a la vie devant elle pour changer d’avis et tester d’autres choses (et j’avoue que moi aussi, j’ai déjà récupéré des bocaux pour y mettre ma cuisine et mes filles n’y ont vu que du feu, hein!)
    Quand à l’allaitement au sein, je pense que tant qu’on a fait de son mieux, on n’a pas de regret à avoir: mieux vaut un biberon donné avec amour qu’un sein donné sous la contrainte (avec en plus la trouille de la douleur): ici j’ai tiré mon lait pendant cinq mois pour les aînées (de façon à ce qu’il y ait au moins un bib de lait maternel dans la journée chacune), et la troisième a laissé tomber car ça n’allait pas assez vite à son goût au bout d’un mois, donc pas de prise de tête 😉 on fait comme on sent et si la tranquillité familiale implique de laisser tomber l’allaitement au sein, hé bien on le laisse! De toute façon tu continues quand même à l’allaiter au biberon, hein, tu ne la laisses pas mourir de faim non? 😉 Donc pas de prise de tête…
    Si vraiment ça se stresse, n’hésite pas à faire participer ta petite au dîner familial: au début, tu la fais manger ce qu’elle aime (son petit pot), ce qui fait que la pioche ne sera qu’un complément, de la gourmandise, quoi! Si elle voit que vous prenez du plaisir à manger ce qu’il y a dans les assiettes, ça va l’intéresser, elle aura envie de faire aussi (pour faire “comme les grands”), n’hésitez pas à en rajouter dans le plaisir que vous ressentez pour la succulente chère, elle finira par avoir le désir d’y plonger les doigts dedans parce que ça aura l’air de valoir le détour 😉
    Je ne pense pas qu’il y ait un rapport à la mère dans la nourriture, car un papa peut tout aussi bien cuisiner et faire découvrir des tas de saveurs (surtout ici), je crois que tu as surtout très envie de bien faire et de tout réussir, sauf qu’un enfant ça ne se réussit pas comme une poupée: ça a ses goûts, ses désirs, ses envies, ses attentes propres… au risque d’être abominablement déçue, il faut apprendre à lâcher prise certaines fois (même si le B@bybel-chocolat en poudre est pour moi une hérésie, mais comble d’aise ma dernière), car ta fille ne sera jamais une mini-toi, elle sera elle-même 😉 Tout ce dont elle a besoin, c’est de sentir que tu l’aimes et que tu l’aimeras toujours, et qu’elle peut compter là-dessus…

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