Luxation congénitale de la hanche #2 – Traction de Somerville-Petit-Morel

Note : cet article n’est en aucun cas un document scientifique ou médical. Il s’agit de notre témoignage et de notre expérience de parents d’un enfant atteint d’une luxation congénitale de la hanche. Pour en savoir plus, l’histoire commence ici


Or donc, souvenez-vous, le médecin de la Crevette venait de nous annoncer, après six mois de traitement, que celui-ci n’avait pas correctement porté ses fruits et qu’il allait falloir passer à l’étape supérieure : la traction de Somerville-Petit-Morel (qu’on appelle aussi “traction de Somerville-Petit” mais l’orthopédiste a insisté). A vos souhaits.

La… quoi ? Tractation ?
Traction. Du verbe tirer. Tout de suite, ça vous donne une idée du truc.
Il s’agit littéralement d’attacher des poids aux jambes du patient et de tirer dessus. Décrit ainsi, ça paraît barbare, et il faut dire que c’est assez impressionnant. L’idée est en réalité de tirer lentement sur les membres pour les extraire de la cavité articulaire puis de les réaligner dans le bon axe.

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Premier soir…

Concrètement, ça se passe comment ?
Vous vous en doutez, ça ne se fait pas en un claquement de doigts. En l’occurrence, il fallait compter quatre semaines d’hospitalisation pour parvenir à nos fins.
Les huit premiers jours environ, on ajoutait du poids matin et soir sur chaque jambe : la Crevette pesait 8kg, elle pouvait donc supporter jusqu’à 4kg par membre (si). Il est évident qu’il faut procéder petit à petit pour ne pas traumatiser le corps.
Une fois les jambes bien allongées (désolée, je n’ai pas d’autre métaphore), il a été temps d’écarter. Il fallait en effet se remettre dans l’alignement de la cavité articulaire. Cela a pris une bonne dizaine de jours, avec ajout de barres latérales : on écartait un peu le matin puis le soir, tout en vérifiant l’angle, qu’on a même corrigé par l’ajout d’un poids en transverse (en gros, un poids disposé de façon à faire tourner la jambe vers l’intérieur).
Enfin, on a ôté le poids peu à peu tout en s’assurant que rien ne bougeait.

...Dernier jour !
…Dernier jour !

Mais c’est atroce !
Ca peut paraître atroce, et c’est lourd, mais cela reste moins invasif que la chirurgie, qui reste le dernier recours. Je rappelle que la Crevette avait 9 mois à l’époque.
Le plus compliqué pour elle fut de ne plus pouvoir s’asseoir alors qu’elle commençait tout juste à maîtriser cette position (la semaine précédent son hospitalisation, elle commençait à se hisser pour se mettre debout). Le premier soir, elle a pas mal protesté et un peu pleuré, mais c’est vite passé.

Ca doit faire mal…
Bien entendu, je ne peux jurer de rien ni parler à la place de ma fille. Toutefois, mise à part l’énorme crève qu’elle a attrapée le jour de son entrée (les hôpitaux, ces nids à microbes), et qu’on a soignée au doliprane, elle s’est très rarement plainte. Elle était la plupart du temps souriante, parfois angoissée par le passage des médecins ou des infirmiers, parfois agacée de ne pas pouvoir remuer comme elle le voulait. Pendant tout son séjour, elle n’a jamais rien reçu de plus fort que du paracétamol.

La super déco du service...
La super déco du service…

9 mois, c’est jeune…
Il faut agir avant l’acquisition de la marche, sous peine d’avoir des séquelles. Et puis, on apprend vite à relativiser.
La Crevette était hospitalisée à Necker, et le service d’orthopédie est au même étage de l’ORL et, surtout, la neurochirurgie. Voir des gamins se balader avec la tête enturbannée reliée à un drain ou discuter avec des parents dont l’enfant vient pour une amputation thérapeutique, ça remet tout de suite les idées en place.

...un train rouge...
…un train rouge qui se promène sur les murs

Et les parents dans tout ça ?
L’orthopédiste qui suivait la Crevette nous a annoncé la couleur d’entrée de jeu : nous allions vivre à l’hôpital. Elle nous a carrément recommandé d’apporter la Nespresso ! (Comme je n’aime pas le café, on a apporté notre bouilloire, et l’Anglais a héroïquement survécu avec du Nescafé pendant un mois)
En gros, nous nous sommes organisés de notre mieux : monsieur a pris tous ses mercredis ainsi que la dernière semaine de décembre, tandis que je dégageais l’intégralité de mon emploi du temps en décembre (de l’avantage d’être freelance) pour la traduction, et m’arrangeais avec mon autre employeur pour ne travailler qu’un jour par semaine. En temps normal, je bosse deux jours par semaine pour eux, mais comme je ne disposais pas de jours “enfant malade” c’était la meilleure solution pour ne pas griller tous mes congés, dont je risquais d’avoir besoin plus tard (bien m’en a pris).
Ensuite, nous avons organisé un roulement pour savoir qui dormait quand à l’hôpital. Car non, un bébé de neuf mois, nous n’étions pas très chauds pour le laisser dormir seul sur place, quand bien même nous n’avons jamais pratiqué le co-dodo.

Vous étiez tout seuls ?
Fort heureusement, nous avons eu la chance d’être extrêmement bien entourés : ma mère et mes beaux-parents ont “pris” des nuits pour veiller sur la Crevette pendant que nous tentions de nous reposer à la maison (on dort très mal à l’hôpital), des amis et des membres de la famille sont venus nous voir et nous soutenir, les associations ont été très actives et ont parfois pris le relais pendant une demi-heure le temps d’aller boire un verre…
Par ailleurs, l’assistante maternelle de mademoiselle – qui ne touchait pas de salaire pendant la moitié de l’hospitalisation – a eu la gentillesse de venir la voir à deux reprises, dont une fois avec des cadeaux de Noël…

Oui, on peut dormir
Oui, on peut dormir

Et pour les détails pratiques ?
Pour les enfants, les repas sont pris en charge par l’APHP mais pas tout de suite : mieux vaut arriver avec 48h de couches, de petits pots, la boîte de lait et les biberons, des fois que. Après, normalement, l’intendance prend le relais parfois avec des ratés (la Crevette s’est retrouvée avec des biberons de lait 3è âge + céréales à deux reprises). Penser aussi à apporter les affaires de toilette, la crème pour le change et pour l’érythème fessier (l’assistance publique est pauvre…), ainsi que des bodies, un ou deux pulls, et des chaussettes – l’enfant aura les jambes à l’air pendant un mois. Sans compter des jeux, de quoi écouter de la musique, etc.
Pour les parents, outre les vêtements de rechange, les affaires de toilette et la serviette de bain, il est utile de venir avec un duvet. On peut aussi se prendre de la lecture (la liseuse, cette invention géniale), pas trop intellectuelle parce qu’on est interrompu tout le temps et qu’on n’arrive pas forcément à se concentrer. En revanche, éviter l’ordinateur portable : le risque de vol est réel et le réseau wifi franchement pas terrible. Enfin, pensez aux sucreries : en cas de coup de barre ou de baisse de moral, elles font beaucoup de bien, et vous permettront aussi d’amadouer le personnel médical et non médical.

Une compensation : la vue sur la Tour Eiffel (si, si, au loin)
Une compensation : la vue sur la Tour Eiffel (si, si, au loin)

Et à part l’hôpital ?
A peu de chose près, notre vie s’est suspendue pendant quatre semaines, et nous n’avons guère quitté l’enceinte de Necker, sauf pour aller chercher à manger ou rentrer à la maison / aller au travail. Nous avons tenu parce que nous étions très entourés et que nous nous sommes répété qu’il s’agissait d’un problème certes pénible à traiter mais relativement bénin et, surtout, sans (trop de) séquelles. Le contrecoup a mis plusieurs mois à apparaître et à être digéré, et je pense que la situation nous hante encore parfois (et si jamais on en faisait un deuxième et qu’on devait revivre ça ?).

Comment ça s’est fini ?
On pourrait dire bien : la Crevette a enfin eu le droit de rentrer à la maison le… 1er janvier. Nous avions appris la nouvelle la veille, et j’ai passé la dernière nuit à l’hôpital. Il paraît que, toute la nuit, les ambulances sont passées sous nos fenêtres et qu’il y a eu en prime une course-poursuite à 4h du matin. Je n’ai strictement rien entendu. Pour la première fois depuis un mois, j’ai fait une nuit correcte.
Toutefois, nous n’en avions pas fini pour autant : car si nous avons récupéré mademoiselle, ce fut lestée de deux kilos de plâtre !