Assez

J’avais prévu de ne rien dire. Parce que je ne sais pas dessiner. Parce que d’autres avaient su mettre des mots sur ma colère, mon indignation, mon chagrin, ma souffrance, ma sidération. Parce que je voulais faire comme si on allait reprendre une vie normale, sans oublier, non, mais parce qu’il faut avancer.
Mais ça n’en finit pas. De traque en fusillade, de fusillade en prise d’otages, ce soir le bilan est trop lourd, et j’ai le sentiment de me noyer dans ma tristesse. Comment ne pas s’identifier à ces gens qui ont perdu un proche, un enfant, un conjoint…? Comment ne pas s’insurger contre cet aveuglement, cette bêtise, cette lâcheté ? Ce soir, j’ai le cœur vrillé, et je mesure ma chance d’être en vie et entourée de ceux que j’aime.

Il y a quelques semaines, j’avais révélé que je croyais en Dieu. J’avais aussi affirmé que je croyais, par-dessus tout, au libre-arbitre. Mais aujourd’hui, je veux encore plus fort croire en l’Humain. Parce que si je perds cette foi-là, alors ils auront gagné.

Joann Sfar, tous droits réservés
Joann Sfar, tous droits réservés

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