Pour la première édition du Paris de la Danse, Éléonora Abbagnato, directrice du ballet de Rome et danseuse étoile de l’Opéra National de Paris dirigera avec Benjamin Pech, danseur étoile de l’Opéra National de Paris, la répétition des pas de deux des ballets, Le Parc d’Angelin Preljocaj et Carmen de Roland Petit. Ils sont accompagnés de quatre danseurs du ballet de Rome.
Cet événement était proposé au Théâtre de Paris dans le cadre de leur festival “Le Paris de la danse”, qui vise à ouvrir leur scène à la danse. Je n’en avais absolument pas entendu parler lorsque j’ai découvert, presque par hasard, des places à tarif réduit sur Vente Privée (j’ai déjà eu recours à ce service, je n’ai jamais été déçue). J’ai immédiatement envoyé un petit mot à Marion Olharan, une de mes acolytes de la danse, et banco, nous avions réservé au parterre pour une somme franchement modique.
Pendant que le public s’installe, les danseurs se chauffent à la barre sur scène, comme lors d’un vrai cours. Après une brève présentation de animateurs de la soirée et de leurs carrières, on débute par un extrait de “Carmen” de Roland Petit, interprété par Sara Loro et Michele Satriano. Les danseurs montrent leur travail aux deux Etoiles, qui les interrompent régulièrement, pour revenir sur la partie qui vient d’être dansée “ça c’est bien”, “plus souple”, “à l’espagnole”, etc. En dépit des apparences, Eleonora et Benjamin (allez, on a passé deux heures ensemble, on peut les appeler par leurs prénoms) font ça avec bienveillance et fermeté (dont un “rentre le ventre” qui suscitera un “quel ventre ?” unanime de Marion et moi), n’hésitant pas à souligner les forces et les faiblesses des danseurs, mais sans jamais se départir de leur humour et de leur bonne humeur. Leurs commentaires sont émaillés de souvenirs et de plaisanteries.
Eleonore Abbagnato a entretenu une relation personnelle très forte avec Roland Petit, qui se sent dans la façon dont elle transmet le rôle à Sara Loro. Elle évoque aussi Zizi Jeanmaire, épouse et muse du chorégraphe, qui créa le rôle en 1949, rappelle l’exigence absolue du maître et la façon dont la sexualité et la sensualité imprégnaient tous ses ballets.
On passe ensuite au troisième acte du Parc, intitulé “L’abandon”, et devenu extrêmement célèbre à cause de son porté-baiser (mais si, rappelez-vous la pub Air France ou, plus récemment, Danse avec les stars). Benjamin Pech a fait ses adieux à l’Opéra avec cette pièce, qu’il a justement dansée avec Eleonora Abbagnato. On sent une émotion encore plus palpable, un ballet qui a beaucoup compté dans la vie des deux danseurs, et un plaisir fou à raconter, transmettre ce qui fait l’essence de cette chorégraphie.
Cette fois-ci, ce sont Giorgia Calenda et Claudio Cocino qui présentent leur travail. Les gestes sont précisés, affinés, montrant, encore une fois, que rien n’est jamais parfait en danse et que le mouvement peut toujours évoluer – Eleonora se fend même d’une imitation de Claude Bessy (“Ca pourrait être mieux”). Benjamin Pech plaisante en expliquant que, dans cet adage, tout le boulot revient au danseur, sous l’air faussement choqué de sa binôme.
Pour conclure, Eleonora… propose qu’une spectatrice vienne essayer le fameux porté. Moment fébrile dans la salle : qui va oser ? Une jeune femme se propose – elle a fait de la danse, je vous rassure – la danseuse lui explique le placement des mains et des jambes, avant de conclure d’un : “C’est une figure qui donne de grosses crampes au dos, c’est normal”. Ahahaha. Moi, à la place de la fille, je me serais liquéfiée sur place. N’empêche que celle-ci s’en sort vraiment bien, sous une salve d’applaudissements.
Eleonora et Benjamin disparaissent pour laisser la scène à Giorgia et Claudio, qui interprètent l’adage dans son entier. Puis le rideau tombe quelques instants avant de se relever sur les deux stars de la soirée, en costume pour Le Parc.
Autant dire que c’est une autre dimension. D’un coup, on oublie tous les commentaires, les blagues et les explications pour se laisser happer par le plaisir de la danse. Les deux Etoiles sont à l’unisson, dans une sorte de corps à corps qu’ils connaissent parfaitement et transcendent (même les problèmes de pantalon de Benjamin Pech, pfff). Ils nous ont offert un moment de grâce, et prouvé, une fois encore, que l’Art et la Beauté (je mets des majuscules, je suis d’humeur lyrique) font du bien à l’âme.