Mon premier Lac des Cygnes

Il était une fois… un prince mélancolique qui rêvait d’amour. Un soir, il aperçut en rêve une princesse cygne…


C’est sur cet incipit de conte de fées que débute cette adaptation du Lac des cygnes pour les enfants. Les créateurs du spectacle ont pris le parti d’un ballet raccourci (deux fois 40 minutes avec un bref entracte), d’une fin heureuse (alternative qui existe depuis la fin du 19ème siècle) ainsi que d’un conteur chargé d’expliquer brièvement l’intrigue au début du spectacle et avant les 3ème et 4ème actes.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la production a mis les moyens. Certes, la troupe est réduite : quatre hommes (deux “figurants”, Siegfried et Rothbart/Wolfgang, interprété par Karl Paquette, ancien danseur Etoile) et quatorze femmes, si bien que la plupart des personnages secondaires disparaissent. Mais du coup, l’oeuvre se concentre sur l’histoire d’amour entre Sigfried et Odile.
Les danseurs sont bons – Karl Paquette est malheureusement sous-employé mais il est parfait, comme toujours – et les deux interprètes principaux sont à l’aise dans leurs rôles. Lucie Barthélémy incarne tour à tour cygne blanc et cygne noir avec justesse, sans non plus en faire trop.
On a droit à la danse des petits cygnes (bien interprétée), même si elle tombe un peu comme un cheveu sur la soupe genre “Il fallait bien qu’on la mette”. Je regrette à titre personnel la suppression de la coda du cygne noir (et de ses 32 fouettés !) mais vu la profondeur de la scène, ce n’était clairement pas possible.

Les costumes et les décors sont soignés, il y a de la paillette et du tutu qui brille, un château qui se mue en forêt et un duel final sur fond de brouillard. La musique est enregistrée, bien sûr, vu que les dimensions du Théâtre Mogador ne permettent pas d’accueillir un orchestre, mais de bonne qualité. En revanche, on est bien assis, et vu le dénivelé, même un enfant peut prendre place sans risque de ne rien voir (bon, avoir un gros manteau sous les fesses peut aider, mais globalement c’est très confortable).

Est-ce que je recommande ? Oui, absolument. C’est une excellente adaptation, avec une chorégraphie qui respecte l’oeuvre originale et apporte de la légèreté aux scènes de cour ; les interprètes se donnent à fond : ce n’est pas parce que la production est destinée aux enfants que l’on mégote sur la qualité ou l’implication. La Crevette a adoré et était fascinée.
Juste une recommandation : expliquez / lisez au moins une fois l’histoire complète à vos enfants avant le spectacle, sinon la narration peut être un peu légère.

Mon premier Lac des Cygnes, Théâtre Mogador, jusqu’au 21 février 2020

Casse Noisette

Le soir de Noël, Clara reçoit un casse-noisette en cadeau. Pendant la nuit, alors qu’elle se relève pour admirer son nouveau jouet, celui-ci prend vie et l’entraîne dans des aventures extraordinaires…


Ce ballet extrêmement connu est devenu une tradition de Noël, en particulier dans les pays anglo-saxons. Je ne l’ai vu “en vrai” qu’une seule fois, dans l’oubliable version de Tcherniakov, et j’avais envie d’une version plus classique. En outre, la Crevette aime beaucoup regarder des extraits de ballets sur YouTube, et a débuté la danse classique cette année, donc cela me semblait une bonne façon de nous faire plaisir à toutes les deux. La version proposée par le théâtre des Champs Elysées est celle du ballet de l’opéra national de Kiev, d’après la version original de Marius Petipa.

La salle du TCE est relativement petite, surtout quand on est habitué à Bastille ou Garnier, et la scène a paru un peu encombrée quand l’ensemble du corps de ballet était présent – j’ai vu quelques danseurs ralentir pour maintenir l’harmonie des diagonales – mais sinon c’était en place. Les solistes étaient impressionnants de puissance dans les sauts, Yuliia Moskalenko en Clara était très juste, un peu espiègle, un peu innocente, mais sans tomber dans la mièvrerie.
Il y a eu quelques très beaux moments : la valse des fleurs, l’ensemble des rats, les variations du prince et de Clara. Bien entendu, regarder Casse-Noisette aujourd’hui, c’est aussi s’interroger sur les clichés véhiculés par certaines variations (au hasard, la danse du thé). En outre, le gros bémol (ah, ah) de cette représentation était le recours à une musique enregistrée et non jouée en direct : sincèrement, on y perd pas mal, d’autant que le son ne “montait” pas suffisamment dans la salle.

Au final, nous avons passé un bon moment. La Crevette a beaucoup aimé, même si elle n’en pouvait plus de fatigue dans le dernier quart d’heure (deux fois 50 minutes dans une salle surchauffée, c’est très long) et qu’elle a eu peur des souris. Mais c’était une jolie façon de lui présenter la danse classique autrement qu’au travers d’un écran, et peut-être d’instituer un début de tradition familiale.
(En revanche, pour Le lac des cygnes, on attendra encore un peu.)

Casse-Noisette, ballet de l’Opéra national de Kiev, Théâtre des Champs Elysées, jusqu’au 6 janvier 2019

Master class Eleonora Abbagnato et Benjamin Pech

Pour la première édition du Paris de la Danse, Éléonora Abbagnato, directrice du ballet de Rome et danseuse étoile de l’Opéra National de Paris dirigera avec Benjamin Pech, danseur étoile de l’Opéra National de Paris, la répétition des pas de deux des ballets, Le Parc d’Angelin Preljocaj et Carmen de Roland Petit. Ils sont accompagnés de quatre danseurs du ballet de Rome.


Cet événement était proposé au Théâtre de Paris dans le cadre de leur festival “Le Paris de la danse”, qui vise à ouvrir leur scène à la danse. Je n’en avais absolument pas entendu parler lorsque j’ai découvert, presque par hasard, des places à tarif réduit sur Vente Privée (j’ai déjà eu recours à ce service, je n’ai jamais été déçue). J’ai immédiatement envoyé un petit mot à Marion Olharan, une de mes acolytes de la danse, et banco, nous avions réservé au parterre pour une somme franchement modique.

Pendant que le public s’installe, les danseurs se chauffent à la barre sur scène, comme lors d’un vrai cours. Après une brève présentation de animateurs de la soirée et de leurs carrières, on débute par un extrait de “Carmen” de Roland Petit, interprété par Sara Loro et Michele Satriano. Les danseurs montrent leur travail aux deux Etoiles, qui les interrompent régulièrement, pour revenir sur la partie qui vient d’être dansée “ça c’est bien”, “plus souple”, “à l’espagnole”, etc. En dépit des apparences, Eleonora et Benjamin (allez, on a passé deux heures ensemble, on peut les appeler par leurs prénoms) font ça avec bienveillance et fermeté (dont un “rentre le ventre” qui suscitera un “quel ventre ?” unanime de Marion et moi), n’hésitant pas à souligner les forces et les faiblesses des danseurs, mais sans jamais se départir de leur humour et de leur bonne humeur. Leurs commentaires sont émaillés de souvenirs et de plaisanteries.
Eleonore Abbagnato a entretenu une relation personnelle très forte avec Roland Petit, qui se sent dans la façon dont elle transmet le rôle à Sara Loro. Elle évoque aussi Zizi Jeanmaire, épouse et muse du chorégraphe, qui créa le rôle en 1949, rappelle l’exigence absolue du maître et la façon dont la sexualité et la sensualité imprégnaient tous ses ballets.

On passe ensuite au troisième acte du Parc, intitulé “L’abandon”, et devenu extrêmement célèbre à cause de son porté-baiser (mais si, rappelez-vous la pub Air France ou, plus récemment, Danse avec les stars). Benjamin Pech a fait ses adieux à l’Opéra avec cette pièce, qu’il a justement dansée avec Eleonora Abbagnato. On sent une émotion encore plus palpable, un ballet qui a beaucoup compté dans la vie des deux danseurs, et un plaisir fou à raconter, transmettre ce qui fait l’essence de cette chorégraphie.
Cette fois-ci, ce sont Giorgia Calenda et Claudio Cocino qui présentent leur travail. Les gestes sont précisés, affinés, montrant, encore une fois, que rien n’est jamais parfait en danse et que le mouvement peut toujours évoluer – Eleonora se fend même d’une imitation de Claude Bessy (“Ca pourrait être mieux”). Benjamin Pech plaisante en expliquant que, dans cet adage, tout le boulot revient au danseur, sous l’air faussement choqué de sa binôme.
Pour conclure, Eleonora… propose qu’une spectatrice vienne essayer le fameux porté. Moment fébrile dans la salle : qui va oser ? Une jeune femme se propose – elle a fait de la danse, je vous rassure – la danseuse lui explique le placement des mains et des jambes, avant de conclure d’un : “C’est une figure qui donne de grosses crampes au dos, c’est normal”. Ahahaha. Moi, à la place de la fille, je me serais liquéfiée sur place. N’empêche que celle-ci s’en sort vraiment bien, sous une salve d’applaudissements.

Eleonora et Benjamin disparaissent pour laisser la scène à Giorgia et Claudio, qui interprètent l’adage dans son entier. Puis le rideau tombe quelques instants avant de se relever sur les deux stars de la soirée, en costume pour Le Parc.
Autant dire que c’est une autre dimension. D’un coup, on oublie tous les commentaires, les blagues et les explications pour se laisser happer par le plaisir de la danse. Les deux Etoiles sont à l’unisson, dans une sorte de corps à corps qu’ils connaissent parfaitement et transcendent (même les problèmes de pantalon de Benjamin Pech, pfff). Ils nous ont offert un moment de grâce, et prouvé, une fois encore, que l’Art et la Beauté (je mets des majuscules, je suis d’humeur lyrique) font du bien à l’âme.

Misty Copeland, Une vie en mouvement

Un prodige. C’est ainsi que la qualifie Cindy, sa professeur de danse, lorsqu’elle voit Misty Copeland s’élancer pour la première fois sur ses pointes. Rien ne semblait pourtant destiner cette jeune fille née dans un foyer instable, fan de Mariah Carey et de hiphop, à intégrer le monde élitiste de la danse classique. A force de persévérance et de sacrifices, elle parvient à gravir les échelons de sa discipline jusqu’à atteindre son rêve : le prestigieux American Ballet Theatre. Mais il lui faut d’abord vaincre le plus insupportable des préjugés : être noire dans l’univers fermé des ballerines immaculées.


J’avais entendu parler de Misty Copeland il y a quelques années, probablement lorsque l’ABT (American Ballet Theatre, sa compagnie) l’a promue première danseuse. J’ai alors lu plusieurs articles sur les très (trop) rares ballerines noires dans le milieu fermé de la danse classique et le racisme ambiant, problème également soulevé par Benjamin Millepied lors de son bref passage à la tête du ballet de l’Opéra de Paris. J’aurais par ailleurs voulu voir danser Misty en septembre dernier, lors du passage de l’ABT à Bastille, mais ce n’est pas tombé le bon soir. Du coup, cette autobiographie m’intéressait à plus d’un titre.

C’est intéressant, bien écrit (en collaboration, bien entendu), avec un style journalistique vif et une narration à la première personne. On suit la vie de Misty un peu comme une aventure ou un film, avec d’autant plus de plaisir que l’on sait que le “bien” triomphera et que les tribulations seront surmontées. Misty Copeland est un peu présentée en héroïne des temps modernes, sans que ce soit trop exagéré.
Après, il faut bien entendu souligner que c’est du storytelling à l’américaine, où le personnage principal apprend toujours de ses erreurs, est toujours humble et remercie toutes les personnes qui ont croisé sa route…

Mais le propos principal du livre, la lutte de Misty Copeland contre le racisme latent de son milieu professionnel et artistique, est très intéressant. On découvre ainsi les rares femmes noires qui l’ont précédée sur scène, ainsi que quelques hommes. On prend conscience du fait que ce racisme se fonde, qu’on le veuille ou non, dans l’imagerie même du ballet (les fameux “ballets blancs”).

Est-ce que ce livre est pour vous ? Si vous aimez la danse, et en particulier la danse classique, si vous cherchez quelque chose de rapide à lire, si la question de la représentativité des personnes noires ou racisées dans notre société vous intéresse mais que vous souhaitez un exemple concret, oui, tout à fait. Je recommande volontiers ce livre. Et j’ai encore plus envie d’essayer de voir danser Misty Copeland un jour !

Misty Copeland, Une vie en mouvement – Une danseuse étoile inattendue, éditions 10/18

2017 Reading challenge : A book about an interesting woman

L’American Ballet Theatre à l’Opéra de Paris

Cette année, pour la reprise de la saison, nous avions décidé d’innover sur deux points : d’abord en ouvrant 2016-2017 par un ballet (nous n’allons en voir qu’un ou deux par an), lequel était en outre interprété par une compagnie invitée, l’American Ballet Theatre. Cette compagnie de danse américaine est très réputée et ne s’était pas produite en France depuis longtemps.
Au programme, un ballet très classique à l’histoire forcément connue : La Belle au bois dormant.

belle au bois dormant

Sur une musique de Tchaïkovski, le chorégraphe Alexei Ratmansky a décidé de revenir au plus près de la chorégraphie et de la mise en scène de Marius Petipa, à l’origine de La Belle au Bois dormant. Les costumes et décors sont, quant à eux, très inspirés de ceux créés par Léon Bakst en 1921.

Le résultat est superbe à tous points de vue. La musique est belle et, pour ceux qui ont visionné le classique de Disney dans leur enfance, a un air de déjà entendu (il est évident que des phrases musicales ont été “prélevées” dans l’oeuvre pour accompagner le dessin animé). Les décors sont magnifiques et les costumes à couper le souffle, avec une forte inspiration de la France de Louis XIV (le roi s’appelle Florestan XIV), en hommage à Charles Perrault.
L’interprétation, enfin, est parfaitement maîtrisée. Isabella Boylston en Aurore est à la fois touchante et joueuse, appuyée par une technique époustouflante. Josef Gorak en prince n’est pas en reste, avec quelques solos magnifiques. Le reste de la compagnie a été à la hauteur de l’enjeu, chacun évoluant avec grâce, légèreté et maîtrise malgré parfois une foule nombreuse sur scène, qui aurait pu donner une impression d’écrasement. Mention spéciale à Marcelo Gomes en Carabosse et à Jeffrey Cirio en Oiseau Bleu, mes deux coups de cœur de la soirée.
Mon seul regret : ne pas avoir vu danser Misty Copeland dont j’entends parler depuis des années.

Si vous aimez la danse classique dans ce qu’elle a de plus traditionnel et flamboyant, de coloré et de joyeux, courez-y, vous ne serez pas déçus.