Depuis le temps que je parle de Zola, vous aurez sans doute compris à quel point je vénère cet auteur et son oeuvre, qui est, parfois, encore criante de vérité, ou tout simplement un témoignage remarquable d’une époque. La série est enfin achevée, j’ai terminé Le Docteur Pascal, vingtième et dernier tome, aujourd’hui, et je me sens un peu orpheline… Du coup, je vais vous faire un petit récapitulatif.
La Fortune des Rougon
Le mythe fondateur de la série, ou comment les parents Pierre et Félicité Rougon gagnent leurs galons de “bons citoyens” en sauvant leur ville de Plassans de la “folie révolutionnaire et républicaine” et soutenant le Second Empire.
Un bon roman, même s’il n’est pas, de loin, le meilleur de la série. Illustration des idées politiques de Zola.
La Curée
Aristide Rougon, dit Saccard, brasseur d’affaires, profite de la folie spéculative sur les terrains lors du réaménagement de Paris par Haussmann, et tolère l’inceste sous son toit pour disposer plus facilement de la fortune de sa femme.
L’argent corrompt tout, pousse à toutes les tolérances… Je garde néanmoins de ce roman une image de demi-jour et de secrets d’alcôve.
Le Ventre de Paris
Les halles centrales, le coeur de Paris et son estomac. L’éternel combat entre les “maigres” – symbolisés par l’artiste et par le révolutionnaire – et les “gras” – les boutiquiers en place, spécialisés dans la nourriture – qui s’achève par la victoire sur les affamés.
Un magnifique roman, aux descriptions très vivantes et saisissantes. Les personnages s’effacent devant le monument des halles, véritable héros de l’histoire. Un de mes préférés.
La Conquête de Plassans
Après la conquête de la ville par les armes, les Rougon entreprennent de conquérir les âmes. L’arrivée d’un nouvel abbé dans la ville et dans la famille de Marthe Rougon et François Mouret, et ses conséquences.
Un roman assez étrange quand on ne connaît pas le sentiment religieux en France au XIXème siècle. Avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, un exemple de ferveur tournée peu à peu en folie et en hystérie collective.
La Faute de l’abbé Mouret
Serge, fils des héros du précédent tome, a été durablement influencé par la ferveur religieuse de sa maison pour prendre l’habit. Son caractère le pousse à l’ascèse et à la mystique, dans une paroisse désolée dans le Sud de la France. Suite à un accident, il rencontre Albine au Paradou, allégorie d’Eve et du jardin d’Eden.
Ascétique puis luxuriant à l’image de la nature qui entoure les héros, ce roman est vraiment magnifique. La parenthèse du Paradou est comme une oasis au milieu des pages. On retrouve des thèmes chers à Zola, et en particulier le rôle de la femme dans la détermination et l’évolution de l’homme.
Son Excellence Eugène Rougon
La conquête du pouvoir politique au plus haut de l’empire, ses sommets et ses turpitudes. Eugène Rougon sur le point de perdre son pouvoir pour dominer une femme.
Ce n’est pas le roman le plus marquant de la série, selon moi… Mais peut-être s’agit-il d’un goût personnel assez peu prononcé pour les intrigues politiques du Second Empire.
L’Assomoir
Comment Gervaise Macquart, blanchisseuse, et son époux Coupeau, tombent peu à peu dans l’alcoolisme, et les ravages de celui-ci sur leur ménage, leurs enfants et leur vie tout entière. Les efforts désespérés d’un couple d’ouvriers parisiens pour se faire une vie à l’aise, pour être heureux, et la ruine de tout par l’alcool.
C’est un de mes préférés… La vision de l’alcoolique est certes très désuète, celle de l’habitant des faubourgs ouvriers, tenté par les camarades ou “contaminé” par le milieu. Un roman couronné par une scène superbe de banquet, qui tient symboliquement le centre du livre, et que FBS et moi avons toujours rêvé de reconstituer.
Une page d’amour
Les amours interdites entre un médecin et une jeune veuve, mère d’une petite fille. Une histoire d’amour passionné à tous points de vue, que ce soit entre les protagonistes adultes, ou l’amour fou de la fille pour sa mère.
Il faut bien remarquer que ce livre est un peu dérangeant, de par le personnage de la petite fille. Néanmoins, c’est une histoire de la bourgeoisie parisienne, et surtout de ses enfants, dont on suit les travaux et les plaisirs avec envie – qui n’a jamais rêvé d’un tel goûter d’anniversaire ou d’un tel bal costumé ?
Nana
Anna dite Nana, fille de Gervaise et de Coupeau, influencée par son milieu alcoolique et “vicieux” (je cite Zola), devient l’une des demi-mondaines les plus en vue de l’Empire. On suit son ascension dans les milieux les favorisés du régime, et sa chute, quand elle retombe au ruisseau.
Nana, la croqueuse d’hommes, l’idole du régime, qui tombe juste avant lui. Une des images les plus marquantes du Second Empire, et, à mes yeux, l’un des meilleurs romans de Zola.
Pot-Bouille
Octave Mouret, second fils de Marthe et François, héros de la Conquête de Plassans, arrive à Paris en conquérant, bien décidé à dominer la ville. Il découvre les turpitudes de la vie bourgeoise et comprend que c’est en exploitant les femmes qu’il arrivera à ses fins.
Bien moins connu que le roman suivant qui suit le même héros quelques années plus tard, Pot Bouille est une peinture saisissante de la petite bourgeoisie parisienne des boutiquiers. On suit avec ironie la course à l’époux, la nécessité de sauvegarder les apparences à tout prix et les petits arrangements avec la conscience.
Au Bonheur des Dames
Après la mort de sa femme, Octave Mouret est devenu le roi de Paris, régnant sur les femmes et leurs désirs grâce à son grand magasin du Bonheur des Dames. L’arrivée de Denise, une jeune provinciale qui entre chez lui comme vendeuse, bouleverse ses croyances et sa volonté d’exploiter les femmes.
Le roman de mon adolescence… Les descriptions foisonnantes du grand magasin selon les temps forts – le blanc, l’inventaire… – de la vie des vendeuses et des boutiquiers, le débat (déjà !) sur la mort du petit commerce face au magasin, l’histoire entre les deux protagonistes… tout contribue à faire de ce roman un chef-d’oeuvre. Ce n’est peut-être pas le meilleur ouvrage de Zola, sans doute à cause de la dimension trop morale qu’il veut donner à son roman parfois, mais c’est un des plus agréables à lire.
La Joie de vivre
Pauline Quenu, fille des charcutiers du Ventre de Paris, arrive en Normandie chez son oncle suite à la mort de ses parents. Malgré les difficultés qui ne cessent de l’attaquer et de ronger sa vie, à l’image de la mer qui grignote la falaise sur laquelle est installée la maison, Pauline traverse ces épreuves avec son éternelle joie de vivre et son abnégation.
Par l’incessant acharnement des événements contre les héros, ce roman peut être considéré comme “typiquement” zolien. Cependant, les qualités particulières de l’héroïne, l’environnement (la région de Bonneville), les personnages secondaires, concourent à rendre l’atmosphère moins noire que d’autres romans tout aussi durs.
Germinal
Etienne Lantier, fils de Gervaise, devient ouvrier à la mine de charbon du Voreux. Indigné par les conditions de vie des mineurs, il est l’instigateur d’une grève très dure, qui sera encore plus durement réprimée.
Quand on parle de Zola, on parle parfois de “réalisme noir”, et c’est effectivement le cas ici. S’il est évident que le lieu de l’action contribue, par sa couleur, à noircir le tableau, les péripéties du roman plus horribles les unes que les autres contribuent grandement à en faire le roman peut-être le plus représentatif de Zola. Malgré tout, c’est une oeuvre que j’apprécie beaucoup, mais que je recommande à ceux qui ont le coeur solide – le film de Claude Berri est également magnifique.
L’Oeuvre
On retrouve Claude Lantier, fils de Gervaise et frère d’Etienne, artiste peintre de génie mais torturé. Ce roman est le prétexte pour Zola à développer ses thèses sur la peinture et l’art en général. On y retrouve l’influence des peintres impressionnistes, dont il était proche.
Malgré le foisonnement de couleurs qui jaillissent de la palette du peintre, malgré la splendeur et le génie qui semblent affleurer à chaque toile, j’ai surtout retenu de ce roman la douleur de la création, la torture de l’échec, l’impossibilité à exprimer ce que l’on veut vraiment représenté, et je garde une image très sombre de ce roman.
La Terre
Jean Macquart, ancien soldat des campagnes d’Italie, s’installe en Beauce pour y vivre de la terre. D’abord garçon de ferme au service d’un paysan aisé, il obtient une terre par son mariage et n’a de cesse de la mettre en valeur. Mais les haines familiales, les préventions séculaires à l’égard des étrangers, auront raison de sa bonne volonté.
Je n’ai pas beaucoup aimé ce roman. Même si l’on retrouve une excellente description de la vie paysanne, j’avoue que les personnages ne m’ont pas “accrochée” et que leur bêtise m’a parfois exaspérée. Néanmoins, cette oeuvre est essentielle pour comprendre les romans de Zola qui suivront cette saga.
Le Rêve
Voir l’article déjà publié à ce sujet.
La Bête humaine
Jacques Lantier, dernier enfant de Gervaise, est cheminot, conducteur de trains. Ayant assisté à un crime, il finit par entretenir une liaison avec l’épouse du criminel, refrénant ses propres pulsions meurtrières. Celles-ci auront finalement raison de lui.
Toujours dans la veine du réalisme noir du point de vue de la détresse psychologique des personnages, ce roman est une formidable étude du chemin de fer, la grande invention du XIXème siècle, et de la vie qui se développe autour. Par moments, la personnification des machines donne au roman des accents fantastiques.
L’Argent
Voir l’article déjà publié à ce sujet.
La Débâcle
On retrouve Jean Macquart, héros de La Terre, une fois veuf et rengagé dans l’armée lors de la défaite de 1870. On suit le parcours sans but et chaotique des soldats promenés le long de la frontière jusqu’au désastre de Sedan, à la capitulation et à la chute de l’Empire, jusqu’à la Commune, avec en filigrane l’amitié fraternelle qui unit Jean et l’un de ses soldats.
Roman de l’attente, la première partie est longue voire ennuyeuse. Mais la suite devient plus intéressante au fur et à mesure des manoeuvres, des premiers mois d’occupation prussienne, avant de s’achever en apothéose par l’incendie de Paris.
Le Docteur Pascal
Après la chute de l’Empire, le docteur Pascal Rougon, dernier fils de Pierre et Félicité, travaille dans sa ville natale de Plassans à une grande oeuvre sur l’hérédité pour laquelle il étudie sa propre famille. A ses côtés vit Clotilde, sa nièce, fille de Saccard, pour laquelle il finit par se découvrir une passion.
Roman de la fin et du renouveau, le Docteur Pascal tient une place un peu particulière, de par sa large partie autobiographique – l’amour d’un homme âgé pour une jeune femme – sa volonté de classifier les membres de la famille selon leur hérédité – c’est Pascal qui est censé avoir dessiné l’arbre généalogique des Rougon-Macquart – et les théories de Zola sur l’oeuvre du savant et son travail pour les générations futures. Ce n’est sans doute pas le meilleur roman de la série, mais il offre une compréhension globale de l’histoire de la famille et de la fameuse théorie de l’hérédité développée par Zola – aujourd’hui complètement dépassée et rétrograde.
Ca c’était un long article ! Alors à vous de me répondre ! Zola, vous aimez, vous détestez ? Quel est votre roman favori/abhorré ? Avez-vous le même sentiment sur les romans dont j’ai parlé ?
Je me souviens de discussion avec mes proches ou des camarades de classe qui portaient toujours sur le point suivant: préférez vous Zola ou Balzac? Et moi, sans conteste, c’est Balzac ;-p. Ma sœur, c’est Balzac aussi mais ma mère, c’est Zola for ever.Parce que Balzac me fait rêver alors que Zola, c’est trop dur et trop glauque pour moi… Je n’ai ainsi jamais eu le courage de lire L’assommoir parce que l’histoire a l’air trop dure.
Néanmoins, j’ai quand même lu quelques romans de Zola: Thérèse Raquin qui ne fait pas partie des Rougon Macquart, La fortune des Rougon, Le ventre de Paris, le Bonheur des dames et la Bête humaine. J’adore Thérèse Raquin, Le ventre de Paris et La Bête humaine (ce dernier étant vraiment GÉNIAL). Mais, je n’ai pourtant jamais eu envie de lire les autres romans de Zola. Je pense qu’il faudrait que je lui donne une autre chance…
Mes préférés sont:
-La faute de l’abbé Mouret,pour Désirée Mouret.
-Son Excellence Eugène Rougon
-La Joie de vivre
Je trouve ce dernier très dur, entre Lazare qui est un raté égoïste et misérable malgré son “bon fond”- ce qui le rend encore pire-, Pauline qui se perd totalement pour les autres et cet océan qui ne cesse de tout ravager…
-Le docteur Pascal
J’ai beaucoup aimé ce dernier volume, lu et relu il y a une quinzaine d’années. Personnellement,je trouve ce récit du renouveau par l’amour (sans rédemption et avec toujours le spectre de la dégénérescence) très beau, fort. Tout ce travail de généalogiste qui m’évoque l’étude de l’âme faite par Horace Bianchon chez Balzac, cela me parle au-delà des considérations scientifiques. Je garde l’image de ce collier avec ces quelques perles en forme de larmes -je crois- offert à Clotilde et l’enfant à naître qui reste, malgré tout, un espoir.
Bref, j’adore Zola. Je trouve ça très beau et en réalité, ce sont tous mes préférés!
Attention, c’est du long.
Je suis loin d’être une inconditionnelle de Zola, mais force est de reconnaître que dans la laideur qu’il dépeint se cache parfois quelque chose de “beau” ou de “drôle”…
Mon premier souvenir remonte au film de Berri, et à l’interprétation superbe de Depardieu et Renaud. Forcément, j’ai voulu enchainer sur la lecture de la version Zola, mais comme j’étais encore un peu jeune, l’expérience s’avéra plutôt pénible qu’autre chose.
Un peu après ça, j’ai tenté Au Bonheur des Dames… Loin d’être une vraie fille, je n’ai pas vraiment accroché à celui-ci, mais ma mère tenait à ce que je le lise, et m’a vendu le truc en m’expliquant que c’était une façon de découvrir un peu l’histoire des enseignes comme le Printemps et le Bon Marché. Pourtant, je n’en conserverai pas un grand souvenir non plus.
Ensuite, je suis passée comme beaucoup par l’inévitable “Zola scolaire”, et c’est en classe de seconde que j’ai lu La Bête Humaine. Et là, en découvrant le mot “atavisme” et sa théorie sur le rôle de l’hérédité dans les actions des hommes, j’ai commencé à m’interroger sérieusement sur ce qui pouvait bien se cacher dans le subconscient de Zola pour
1: avoir des idées aussi “tordues” (c’est ainsi que je l’ai formulé à ma prof. de français…)
2: avoir pu écrire un livre aussi sombre, aussi déprimant qu’en l’ayant fini, j’ai poussé un soupir de soulagement.
Il faudra attendre pour nous réconcilier Zola et moi, que je tombe par hasard sur L’Assommoir (2 “m” je crois, Léo) au Temple de la Perdition. Je ne comprends toujours pas pourquoi, mais j’ai trouvé cette histoire, pourtant assez tragique de base, très intéressante et amusante à lire. Il s’en dégage pour moi une impression de couleur qui n’a rien à voir avec le noir-très-très-très-sombre de La Bête Humaine.
Je viens de commencer Le Rêve, et je retrouve cette même légèreté, cette même sensation de couleurs que dans L’Assommoir, même si bien sûr Zola reste Zola, avec son lot de désespoir, d’inévitable, de misère humaine, et d’autres joyeusetés de ce genre…
Du coup, et vu que je suis tout à fait capable de me déprimer toute seule comme une grande, Zola n’est pas vraiment mon auteur préféré.
Voilou, j’espère que tu ne te seras pas endormie en lisant ce commentaire~
Alors moi, mes préférés sont:
– l’Assommoir (que j’ai dû lire au bas 150000 fois, à tel point que je peux réciter des passages entiers);
– Pot-Bouille, ce portrait sans complaisance des bourgeois (l’ironie est féroce, je comprends que beaucoup de bourgeois en aient été outrés);
– Germinal (la description de la mine dans le premier chapitre m’a toujours fait penser à du fantastique, avec cette bête accroupie).
Sinon, j’ai lu avec plaisir (mais avec moins de passion que ces trois-là):
la Curée, le Ventre de Paris, la Faute de l’Abbé Mouret, Nana, au Bonheur des Dames, l’Oeuvre et le Rêve.
En revanche, je n’ai pas vraiment accroché à:
la Conquête de Plassans, une page d’amour, la joie de vivre, la Bête humaine, l’Argent et le docteur Pascal.
En fait, il ne m’en reste pas tant que cela à lire!