Allô, tonton Sigmund ?

Au début du mois, cela a fait dix ans que j’ai débuté mon analyse. Vous lisez bien : cela fait dix ans que, deux fois par semaine, je m’allonge sur un divan et que je paie quelqu’un pour m’écouter déblatérer sur tout et sur rien. Je préfère ne même pas essayer de calculer la somme que j’ai engloutie là-dedans, sinon je vais commencer à avoir le tournis. D’un autre côté, comme je n’ai jamais eu l’ambition d’être propriétaire, ce n’est pas si grave.

Mes copines savent toujours quoi me rapporter comme souvenir de vacances...
Mes copines savent toujours quoi me rapporter comme souvenir de vacances…

Il y a dix ans, donc, je rentrais du Japon, dans un état plus que moyen : après une parenthèse de huit mois – absolument pas rose mais sacrément dépaysante – je me prenais en pleine figure tous les problèmes que j’avais mis de côté en partant. Et bizarrement, ni le temps ni l’éloignement n’avait aidé à les résoudre. Lorsque je me suis aperçu que je n’avais aucune envie de fêter mon anniversaire et que j’envisageais plus ou moins sérieusement de me jeter dans la Seine, j’ai pris les choses en mains.
Il faut savoir que j’avais déjà consulté une psychologue à 15 ans et que, même si cette rencontre avait été bénéfique sur le coup, elle n’avait pas traité la cause, seulement quelques symptômes. Par ailleurs, la psychanalyse m’avait toujours fascinée : c’est d’ailleurs le seul cours de mon année de philo en terminale que je me souviens avoir compris d’un bout à l’autre…
On pourrait donc dire que le terrain était préparé.

Concrètement, comment ça se passe ? J’arrive et je dis ce qui me passe par la tête. Parfois, ça sort. Souvent, ça bloque. Comme ma psy est lacanienne mais trop (je ne vais pas entrer dans les détails, pour moi ce sont un peu des querelles de clocher), elle essaie de me poser des questions, souvent les mêmes : est-ce que j’ai fait des rêves, est-ce que j’ai quelque chose à dire, comment s’est déroulé tel événement que j’ai abordé la fois précédente… Tout peut paraître décousu, voire carrément incohérent, mais l’association d’idées est la base du travail psychanalytique : la question est de savoir pourquoi vous établissez tel lien entre deux idées a priori indépendantes.

Sigmund_Freud_LIFELa personne qui vous accompagne n’est pas là pour vous juger mais pour vous pousser à la réflexion, dans et hors de son cabinet. Celle-ci peut en effet se prolonger par des lectures, des rêves…

Mais alors, est-ce efficace ? Il est très difficile de répondre à cette question parce que, dans mon cas, j’estime que c’est (très) efficace. Toutefois, l’analyse ne propose pas de solution concrète (se focaliser sur le positif, faire des exercices…) et est donc difficilement quantifiable. Je me souviens qu’au début, chaque fois qu’on posait la question et qu’on me demandait un exemple lorsque je répondais par la positive, j’étais incapable de trouver une réponse. Aujourd’hui encore, je peux dire que certaines choses sont résolues et que d’autres sont en cours, mais sans entrer dans les détails (à la fois parce que cela relève de l’intime et parce que cela demeure flou).
Pourquoi est-ce aussi long ? Dix ans, ce n’est pas rien… Au moment où j’ai débuté, je pensais en avoir pour environ 7 ans (au moins, je savais que je ne m’engageais pas pour 6 mois). Aujourd’hui… je préfère ne pas faire de pronostic ! En ce qui me concerne, cela prend du temps parce que, paradoxalement, je suis très réfractaire à ce travail ; il n’est pas rare que je sois incapable de dire quoi que ce soit, ou que mon cerveau me mette de la musique abrutissante en fond sonore pour m’empêcher d’accéder à ce qui fait problème. Du coup, je perds beaucoup de temps.

N’y a-t-il pas une forme de dépendance ? C’est possible. Il n’est pas rare que je me dise “Il faudra que j’en parle à ma psy” en pensant à quelque chose. Mais à mon avis, c’est plutôt une sorte de “servitude volontaire” et non une manipulation quelconque ; je sais que je suis libre de partir, mais je reviens quand même. Comme je le répète souvent, le jour où j’arrêterai, je ne saurai pas quoi faire de tout ce temps ni de tout cet argent.
Alors tout est rose ? Certainement pas ! Il m’arrive très souvent de douter, de m’interroger. Certaines pistes lancées par ma psy ou vérités que je découvre moi-même sont parfois très difficiles à avaler (quand on se rend compte qu’on est moins tolérant qu’on ne le voudrait, quand le “diagnostic” d’hystérie m’a été annoncé) ; le pire c’est que, plus je les nie violemment, plus cela veut dire qu’elles font mouche. J’ai parfois envie de tout laisser tomber et de partir en claquant la porte. Pourtant, après mûre réflexion, j’ai décidé que, même si ce n’était pas idéal, je me portais mieux en consultant qu’en étant livrée à moi-même pour gérer les problèmes.

Au final, c’est un choix coûteux (en temps, en argent, mais aussi d’un point de vue émotionnel) mais que j’ai fini par assumer. Je ne pense pas que c’est une solution qui convienne à tout le monde, pour plein de raisons, mais elle a nettement ma préférence. Et depuis quelques temps, j’ai aussi appris à chercher ailleurs, en parallèle, les indices qui me permettront d’avancer.

14 thoughts on “Allô, tonton Sigmund ?”

  1. ça fait des annees que je songe a me lancer car je sais que ça me serai tres benefique. ça fait aussi des annees que je recule l’echeance effrayee par l’ampleur de la tache. Tu as donc toute mon admiration pour ton courage et ta tenacite.

  2. Dix ans et que de chemin parcouru!
    J’ai dans mon entourage plusieurs exemples de personnes qui ont tiré beaucoup de bénéfices en faisant un travail sur elles. De mon côté, je pense que j’ai toujours senti que je devrais y passer mais par des bricolages, je faisais tenir le tout. C’est une pulsion du même ordre que la tienne qui a fini par me mener en consultation. Un soir, alors que je tenais mon petit bout hurlant dans mes bras, à bout, j’ai imaginé passer par la fenêtre pour que tout doit réglé.
    Cette pensée est passée en une fraction de seconde mais elle m’a effrayée. J’ai rendu les armes: je ne pouvais plus faire l’économie d’un travail en profondeur.
    Cela fait huit mois et je ne regrette pas, même si certaines semaines je n’ai pas du tout envie d’y aller. Bizarrement cela correspond aux moments où il faudrait que j’aborde des thèmes sensibles (et donc que j’évite) Pourtant, je n’ai pas l’impression de devoir évacuer des drames familiaux ou des histoires cachées.
    au final, j’apprends déjà à mieux vivre avec moi, ce moi qui m’emmerde souvent. Je commence à être plus bienveillante. Mais que la route est longue.
    Ma psy aussi est lacanienne. Elle commence à parler davantage et c’est toujours elle qui interrompt la séance lorsque j’ai dit quelque chose qui lui semble important. J’étais assez désarçonnée au départ mais je me suis rendue compte qu’ainsi elle interrompt le flot sans fin de les réflexions (j’ai une sorte de petite radio branchée en permanence, ignore si c’est pareil out les autres) et me force à ne pas continuer le blabla mais à m’arrêter pour décortiquer un point.

    C’était la minute racontage d’analyse 🙂

  3. @Ioionette : je ne sais pas vraiment si c’est une question de courage ou de “quand faut y aller, faut y aller”. Quant à entamer un travail : si tu y penses depuis plusieurs années, tu attends peut-être juste un déclic. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il faut te précipiter chez le premier venu dès demain matin ^^

  4. @Lucy : l’instant que tu décris, je l’ai vécu alors même que j’étais en analyse depuis longtemps ! Mon but est à la fois d’aller mieux et de faire en sorte de ne pas (trop) transmettre mes névroses à la Crevette et à ses éventuels frères et soeurs.
    Pour le coup de la radio branchée en permanence, je vis la même chose, et Ioionette m’en avait parlé elle aussi (sauf qu’elle arrive à mettre une sourdine, elle). C’est très pénible, surtout quand ça fait un vacarme de tous les diables pour t’empêcher de penser.
    Ma psy est sans doute un peu moins lacanienne que toi car les séances sont quand même plus calibrées, quoique tout aussi frustrantes.

  5. Joyeux double anniversaire alors !
    Le problème des gens qui demandent quel est le côté positif de l’analyse c’est qu’il pense que ça doit “servir”, produire un bénéfice mesurable. Comme le sport ou manger sainement.
    Je pense que ça ne sert à rien mais que ça aide à vivre pour certains ce qui n’est pas mesurable.
    Et puis il a bien fallu remplacer les curés en tant que confesseur/ directeur de conscience (j’avais fait une typo “confiance”. Merci Freud-autocorrect) 😉

  6. @Marion : oui, c’est très bien vu. Il y a deux siècles, je me serais peut-être confite en dévotion pour trouver le salut ! Blague à part, ça aide à vivre avec soi-même et, partant, avec les autres. Mais tu n’as pas vraiment de preuve concrète ou tangible (autre que “je n’ai pas commis de meurtre”).

  7. Je pense être bien trop réfractaire à toute forme de commentaires, constructifs ou pas, pour entreprendre une psychanalyse. C’est d’ailleurs un travail sur moi que j’essaye de faire au quotidien pour laisser une place aux remarques extérieures.

    Ceci étant, je ne ferme pas totalement la porte à une psychanalyse. Pour l’instant, m’auto-analyser m’a donné quelques résultats, mais arrivera peut-être le jour où j’en découvrirais les limites et où je ressentirais le besoin d’aller plus loin.

    @marion: Malheureusement on pense beaucoup trop en termes de “ça sert à quoi” et pas qu’au niveau de la psychanalyse.

  8. Vive le psy (c’est pas moi qui vait dire le contraire) ! Mais pas n’importe quel psy…Assurez-vous de la réelle compétence de la personne avant de consulter, la place publique regorgeant de bio-psycho-sophro-energético-logues en tous genres (et d’autres noms encore plus farfelus, qui n’ont en commun de n’être absolument pas encadrés). Pour aider à s’y retrouver un peu : les deux seuls titres protégés sont ceux de psychiatre (formation médicale) et psychologue (formation professionnelle universitaire). Seuls ces professionnels sont habilités à fournir un diagnostic psychiatrique ou psychologique, et peuvent travailler en structures hospitalières. Ils vous garantissent une réelle compétence (validée par des examens et des stages) en psychopathologie. Le titre de psychothérapeute tend à devenir réglementé, mais c’est très récent. Celui de psychanalyste, utilisé seul, veut simplement dire qu’on a terminé son analyse personnelle et fait une école d’analyse (écoles privées, sans reconnaissance étatique, bien que pouvant pour certaines être forts sérieuses). La psychanalyse est une forme de psychothérapie (et est historiquement, à la naissance de la psychologie), mais il en existe plein d’autres qui sont enseignées en général dans des formations complémentaires (Thérapies cognitives et comportementales dites TCC, thérapies systémiques, thérapies brèves, hypnothérapie, approche intégrative…). Si je peux donc me permettre de vous donner un conseil simple pour vous y retrouver : assurez-vous que votre thérapeute (qu’il soit psychanalyste, psychothérapeute, thérapeute TCC ou autre…) détienne en outre un titre protégé (psychiatre ou psychologue). Après, les grandes approches en psychothérapies – celles qui ont fait l’objet d’études comparées- sont efficaces. Il faut juste trouver la personne et l’approche qui vous conviennent à vous (EX : quelqu’un qui aime l’introspection et est à l’aise avec l’expression verbale, qui cherche à faire un travail sur soi – du moment qu’il n’ait pas une angoisse d’abandon trop forte et supporte bien le “silence” – , se sentira sans doute bien en psychanalyse ; quelqu’un qui a besoin de dépasser un problème immédiat très handicapant dans un temps restreint – genre vous venez d’avoir une promotion professionnelle qui vous contraint à voyager régulièrement et vous êtes phobique de l’avion – se sentira davantage aidé par une TCC…etc). Vala ! C’etait la minute “Info Santé Psy”. Sinon, quel qu’en soi l’approche (sérieuse), vive le travail sur soi !

  9. @ElanorlaBelle : c’est clair que c’est parfois difficile de se faire asséner des vérités qui dérangent ou bousculent, et je comprends tout à fait ta réticence. Si ta méthode d’auto-analyse donne des résultats satisfaisants pour l’instant, profites-en !

  10. @Nimuë : oui, la figurine existe, elle trône dans ma bibliothèque (je l’ai prise en photo hier soir). Ce sont des amies qui me l’avaient rapportée de Vienne, mais on la trouve sur Amazon, par exemple.
    Merci pour les précisions que tu apportes sur les métiers de psychiatre et psychologue, ainsi que sur les différents types de thérapie. Cela pourrait être utile !

  11. Moi aussi, je viens de me lancer (une fois par semaine depuis trois mois), après beaucoup d’hésitations ! Mais j’avais fini par me rendre compte que mon auto-analyse était terriblement limitée par certains blocages ; il me fallait quelqu’un qui me force à “mettre le nez dans mon caca” mais pas trop violemment…

    Personnellement, j’ai eu de mauvaises expériences avec des psychologues diplômés d’état étant ado (mais peut-être n’étais-je pas prête), et je ne sais pas du tout quelle formation a reçue l’analyste que je consulte actuellement… J’ai plutôt choisi en fonction de l’expérience d’une amie, qui le voit depuis 5 ans et m’a décrit ses méthodes avec grand enthousiasme.

    C’est con, j’ai encore un peu de mal à assumer (notamment face aux réflexions du genre “Mais t’en as vraiment besoin ?! Tu te rends compte du fric que ça représente ?!” ou “Pffh, je comprends pas ces “déprimes” de gosses de riches… En Afrique/Russie, on a des vrais problèmes, vous, vous vous prenez juste trop la tête, c’est tout !” ou “Parle à tes amis, ils sont là pour ça !”). Du coup, ça fait plaisir de partager un peu les expériences ! =)

  12. Pas grand-chose à apporter, si ce n’est que ton rapport avec tes séances m’a paru « sain » (autant que le permettent les circonstances). Tu es la seule personne que je connaisse qui en parle aussi ouvertement.
    Et histoire de ne pas être totalement inutile, tu as lu la BD La Chute de Melle Caroline ?

  13. @Florine : j’ignorais que c’était ton cas… Bienvenue du côté obscur de la Force !
    Sinon, les remarques “mais à quoi ça sert ?” ou “c’est vraiment un truc d’enfant gâté”, j’y ai eu droit aussi, surtout au début. Mais jusqu’à preuve du contraire, il s’agit de ton argent, ton temps libre et ton cerveau, donc la décision n’appartient qu’à toi seule. Un peu comme la contraception, tiens.

    @Shermane : je ne connais pas cette BD, je note le titre, il faudra que je l’essaie.
    Je ne sais pas si mon rapport est “sain” mais en tout cas je le vis bien et je l’assume totalement 🙂

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