Depuis quelques jours, on a vu fleurir ce hashtag sur Twitter, et d’innombrables femmes ont raconté leurs mésaventures face au harcèlement et à la culture du viol. Une déferlante.
Dès que j’ai vu passer cet appel, divers épisodes me sont revenus en mémoire, sans que j’aie besoin de me forcer. Alors je raconte à mon tour.
En primaire, je pratique le judo, c’est un des rares sports qui me plaît. J’abandonne à la fin du CM1, parce que, seule fille dans un cours de 8 ou 10 enfants, les garçons s’ingénient à ouvrir mon kimono (et je suis révoltée à l’idée de porter un tee-shirt en dessous, contrairement à eux, d’autant que j’ai zéro poitrine). Le prof n’a jamais rien vu/dit.
Je suis en 5ème. Le prof de sport, pas très loin de l’âge de la retraite, a une sale réputation, que j’ai du mal à comprendre (j’ai 11 ans et je suis franchement naïve). En effet, ce type débarque dans les vestiaires des filles systématiquement au mauvais moment. Lors d’un cours, pour m’aider à franchir un obstacle, il me pousse les fesses. Devinez qui les autres filles ont regardé de travers ? Indice pour vous chez vous : il n’avait pas pénis.
Toujours en 5ème. Un garçon profite du cours de sport pour me mettre une main aux fesses (oui, encore). Devinez qui on a regardé de travers ? (Oui, encore)
Vers 2009, je marche dans la rue quand un type me fait remarquer que j’ai les tétons qui pointent avec un regard salace (il fait froid, ce jour-là).
En 2011-2012, un de mes collègues prend un malin plaisir à se placer derrière moi pour vérifier des choses que je lui montre sur mon écran d’ordinateur. Je précise que je suis dos à la fenêtre avec peu de recul et que cela lui permet d’avoir une vue plongeante sur mon décolleté, alors que je tourne mon écran pour lui permettre de voir de côté. Ce type est notoirement connu dans les bureaux (au moins parmi les femmes) pour ce genre d’attitude et ses propos limites (“T’as mis une robe, tu sors ce soir ?”), mais visiblement tout le monde s’en fout, à commencer par mes patrons.
Vers la même époque, je porte des collants imprimés “drapeau américain”, une jambe à rayures rouges et blanches, une bleue semée d’étoiles blanches (j’ai le droit d’avoir des goûts douteux, j’assume). Deux types derrière moi ne se privent pas de commenter dans une langue étrangère que je ne parle pas (mais bizarrement “America”, ça se prononce pareil dans toutes les langues), et il est clair que ce n’est pas flatteur.
Je passe sur toutes les fois où je passe devant deux terrasses de bistro entre chez moi et ma gare (longueur du trajet : 50 mètres) et où je vérifie toujours que ma jupe est assez longue / mon manteau bien fermé / mon gilet mis même quand il fait 35° tellement j’ai pas envie d’être scrutée comme un morceau de viande. C’est d’ailleurs un des rares points positifs à ma grossesse : avec mon bide énorme et mes jambes gonflées d’eau, je me suis sentie davantage “protégée”, un comble.
Ce n’est qu’un rapide aperçu, avec les scènes les plus marquantes. En en discutant avec l’Anglais, certaines me sont revenues en mémoire, d’autres m’ont été rappelées par lui.
Le pire, c’est que je m’estime heureuse : je n’ai jamais été “réellement” agressée, je n’ai subi “que” de petites humiliations. J’ai réussi à remettre à sa place mon collègue envahissant en lui balançant des piques sur sa virilité (et puis j’ai perdu le goût de la nouveauté). Mais il est évident que, comme beaucoup (toutes ?) de femmes, j’ai intériorisé cette peur, ces injonctions à être belle-mais-pas-trop.
Aujourd’hui, j’avoue que j’ai la trouille. Pour ma fille, à laquelle il va bientôt falloir expliquer que, non, les garçons n’ont pas le droit de regarder sous sa jupe à l’école (en petite section, le problème est réglé, l’école demande des pantalons parce que c’est plus pratique pour les Atsem), que ce n’est pas normal. Pour mon fils, qu’il faudra éduquer au respect (et je pense que ce sera peut-être encore plus difficile compte tenu du discours ambiant).