Le premier homicide, c’est le meurtre d’Abel par Caïn. Après qu’Adam et Eve ont été chassés du Paradis pour avoir goûté au fruit de la connaissance, ils ont eu deux fils, Caïn et Abel. Souhaitant apaiser la colère divine par des sacrifices, les frères proposent chacun le fruit de son travail, mais seul le sacrifice d’Abel est accepté. Jaloux, Caïn le tue, avant d’être condamné à l’errance éternelle.
Voilà l’argument résumé en quelques lignes pour ceux de mes lecteurs qui auraient raté le catéchisme. Cette histoire fut mise en musique par Scarlatti pour un oratorio – une pièce religieuse chantée destinée aux églises et bâtiments religieux (dans le même genre, on avait Jephta de Handel l’an dernier).
La musique baroque, c’est mon dada. La direction de René Jacobs est vigoureuse, mais – bien qu’il ait apparemment doublé le nombre de musiciens – le Palais Garnier est à mon sens trop vaste, malgré son excellente acoustique, pour qu’on puisse apprécier toutes les subtilités de la partition.
L’oeuvre est portée par les voix de Kristina Hammarström (Caïn) et Olivia Vermeulen (Abel), toutes deux impeccables dans ce duo ennemi. Mention spéciale également à Robert Gleadow, beau timbre de baryton qui incarne la Voix de Lucifer. Toutefois, j’avoue avoir trouvé l’Eve de Birgitte Christensen assez faible.
En revanche, la mise en scène…
L’oeuvre est divisée en deux parties : avant et après le sacrifice à Dieu (spoiler : le meurtre, c’est après l’entracte). La première partie se déroule sur une scène totalement dépouillée, devant un écran éclairé de lumières aux couleurs changeant en fonction de certaines expressions employées par les personnages (ainsi le “glaive de feu” est une ligne rouge…). Castellucci fait le pari de la symbolisation à l’extrême : l’agneau sacrifié est devenu une poche de sang, le retable renversé figure l’autel (mais pas tout le temps), le sacrifice est représenté par une machine à fumée que l’interprète de la Voix de Dieu éteint ou non selon l’acceptation ou le rejet… Disons qu’on a déjà vu plus subtil.
Un sandwich et une coupette plus tard, le rideau se lève sur un magnifique décor de campagne sous un ciel étoilé. Rien que ça, on en prend plein les yeux, et le début nous donne raison : le face à face entre Caïn et Abel se déroule dans cette nuit que l’on devine paisible et semblable à toutes celles qui ont précédé.
Et là, c’est le drame. Littéralement. Au moment où Caïn tue Abel, les chanteurs se retrouvent affublés de doublures incarnées par des enfants. Les interprètes sont relégués dans la fosse pendant que leurs doubles font du play back sur la scène (encore plus immense vu leur gabarit), et surjouent les sentiments. On peut tout de même porter à leur crédit leur excellente articulation, pour un peu on s’y croirait.
Comme si cela ne suffisait pas, Castellucci en rajoute une couche avec les symboles lourds et pompeux : Caïn est couronné roi et se construit un mur de pierres derrière lequel il se cache, honteux, tandis qu’Abel est exhumé de sa fosse et lavé dans la plus pure tradition des descentes de croix (je vous raconte pas la gênance d’assister à une scène de ce genre avec un gamin de 10 ans, mais je dois être vieux jeu). Eve se couvre la tête d’un voile bleu (symbole de la Vierge, des fois que vous n’auriez pas suivi).
Le tout s’achève dans une immense bâche en plastique dont émergent les deux doubles enfantins d’Adam et Eve, incarnations de la descendance promise par Dieu, et dont sera issu le Messie.
Soyons francs, j’ai trouvé ça parfaitement inepte. Limite, j’ai eu l’impression qu’on se foutait de ma gueule. Je vais à l’opéra pour voir des chanteurs, pas des enfants qui font du play back, ni pour me démancher le cou à essayer d’apercevoir les solistes dans la fosse d’orchestre.
L’oratorio est, à l’origine, un genre musical qui n’est pas conçu pour l’adaptation scénique, mais pour l’interprétation religieuse. Si Jephta s’était plutôt bien sorti de ces écueils, malgré un symbolisme également marqué, Il Primo Omicidio confirme qu’il y a des choses qu’il ne faudrait pas changer : je pense qu’on aurait gagné à écouter cette oeuvre dans la chapelle du château de Versailles, par exemple.
Je n’y connais rien mais j’adore ton analyse. Petite coquille : *pas* des enfants
En effet, merci !
(Et merci pour le compliment)