Cette année, l’opéra de Paris proposait un spectacle “comme à l’époque de Tchaïkovski” proposant deux oeuvres à la suite, un opéra puis un ballet. Si le ballet, Casse-Noisette, est un très grand classique du répertoire, je n’avais jamais entendu parler de Iolanta, opéra en un acte relativement court (moins de deux heures).
Iolanta est la fille aveugle du roi René de Provence, mais ignore tout de son infirmité, car elle est élevée à l’écart du monde dans un “désert paradisiaque”. René arrive accompagné d’un médecin censé guérir cette cécité, mais ce dernier insiste pour révéler le problème à Iolanta, ce que le père ne peut se résoudre à faire. Le fiancé de la jeune fille, Robert, duc de Bourgogne, arrive par hasard sur le domaine, se plaignant de devoir l’épouser car il en aime une autre ; le meilleur ami de Robert, Vaudémont, tombe sous le charme de Iolanta et lui révèle la vérité…
C’est une très jolie oeuvre, aux accents typiques de Tchaïkovski. S’il ne se passe pas forcément grand-chose, on est emporté par l’histoire et, surtout, par les airs. Sonya Yoncheva est remarquable dans le rôle-titre, et ce d’autant plus qu’elle a annoncé juste avant le spectacle qu’elle était souffrante (elle a dû hésiter sur deux notes). Face à elle, le cast masculin est un peu plus “classique”, avec tout de même un Vito Priante superbe en Ibn-Hakia. La direction musicale d’Alain Altinoglu (sur les deux œuvres), est excellente.
La mise en scène, dans un petit salon resserré au centre de la scène, laissant le reste dans l’obscurité, est bien trouvée car elle souligne le huis clos et le monde replié dans lequel vit Iolanta. Au lieu de situer la pièce dans le moyen-âge provençal, le choix a été fait de déplacer l’argument dans la Russie fin 19è, là encore avec bonheur.
Je reproche toutefois un recours un peu exagéré aux cris, larmes, éclats de rire, qui servent à surligner (oui, en fluo) l’hystérie du personnage principal dont la cécité n’est peut-être pas aussi définitive que l’on croit. Selon moi, le livret suffisait amplement à le faire connaître, et il n’était pas nécessaire d’en rajouter.
Vient ensuite Casse-Noisette, dont l’argument a été totalement modifié, au point qu’il ne reste de l’oeuvre originelle que la musique. Offrant une belle continuité, le ballet débute à l’instant où s’achève l’opéra, découvrant un théâtre dans le théâtre, déplaçant cette fois-ci l’action dans les années 1950, peut-être en Angleterre. L’idée est excellente et permet d’embrayer sans frémir.
Cette fois-ci, nous suivons le voyage initiatique de Marie qui, lors de sa soirée d’anniversaire, rencontre Vaudémont dont elle tombe amoureuse. Las, celui-ci disparaît et Marie part à sa recherche, laissant derrière elle les ruines fumantes de son foyer, traversant une forêt effrayante et croisant des jouets immenses…
L’idée de confier la chorégraphie à trois artistes différents – Arthur Pita, Edouard Lock et Sibi Larbi Cherkaoui – était peut-être intéressante sur le papier, mais peine malheureusement à convaincre sur scène. J’ai eu l’impression d’un réel décalage d’un chorégraphe à l’autre, l’univers de chacun peinant franchement à s’imbriquer à celui des deux autres, donnant le sentiment d’une superposition de scènes plutôt que d’une histoire d’un seul tenant.
La première partie, signée Arthur Pita, était drôle et enlevée, mais s’apparentait plus à du théâtre dansé qu’à de la danse à mes yeux (mais je suis assez classique dans mes goûts).
Les tableaux chorégraphiés par Sidi Larbi Cherkaoui sont sublimes de grâce et d’intelligence. Les deux pas de deux sont superbes, portés par deux interprètes – Marion Barbeau et Stéphane Bullion – sublimés par ce nouveau décor et cette réécriture. De même, la valse des fleurs était plutôt bien trouvée, quoique peut-être un peu lourde de symbolisme. La valse des flocons était, pour ce que j’en ai vu – j’y reviendrai – intéressante mais avec un petit côté stalinien.
En revanche, je suis passée complètement à côté du travail d’Edouard Lock. Mais vraiment. Des gestes saccadés répétés à grande vitesse – excellence technique, certes, mais j’avais l’impression d’être dans La nuit des morts-vivants – des passages parfois très lents ou incompréhensibles, des décors parfois grotesques… Si je n’avais pas lu le livret, je n’aurais rien compris. Le pire, à mes yeux, était le divertissement, avec l’enchaînement de danses “de caractère” (espagnole, arabe, russe, etc.) : entre jouets soviétiques géants (et franchement flippants) et lenteur exacerbée sur des passages pourtant enjoués, je me suis emmerdée comme un rat mort.
Là encore, Dmitri Tcherniakov, le metteur en scène de Iolanta et librettiste de ce Casse-Noisette revisité, cherche à explorer la psyché féminine en surjouant l’hystérie, mais c’est quand même beaucoup moins réussi. Une fois n’est pas coutume, on est parties dès le tomber du rideau.
Une dernière chose qui a contribué à rendre cette soirée un peu amère : le public, qui fut une de mes pires expériences à l’opéra de Paris. Outre les gens arrivés en retard qui sont quand même entrés (normalement, c’est impossible, mais c’était peut-être dû au fait que nous étions tout en haut, à l’amphithéâtre), nous avons dû endurer une femme qui ne cessait de parler et qu’il a fallu faire taire à de multiples reprises et, cerise sur le gâteau, au rang derrière moi, une vieille qui a dégainé son appareil photo pendant la valse de flocons et… pris des clichés. Au flash (d’où ma distraction, hein). Je suis partagée entre la profonde colère contre ces gens qui ne respectent ni l’oeuvre, ni les artistes, ni leurs co-spectateurs, et l’ébahissement le plus absolu.
Iolanta/Casse-Noisette, jusqu’au 1er avril, opéra Garnier