Vivre sa judéité quand on est goy

Attention, j’attaque avec des mots savants tout de suite, histoire de vous mettre dans le bain.
Comme certains le savent peut-être – vu que j’en parle souvent, ce doit être le cas de ceux qui me connaissent IRL, sinon je l’avais mentionné ici – je suis d’origine juive sans l’être. C’est-à-dire que je suis issue d’un mariage mixte, entre un juif et une non-juive ce qui, de fait, me prive de la “qualité” de juive (l’appartenance à la religion se transmet par la mère*).
Je suis donc goy (non juive).

Pourtant, au fond de moi, ces racines sont puissantes, plus peut-être que celles qui me lient à ma culture maternelle. Entendons-nous bien : je suis, avant toute chose, profondément française et européenne, mais le judaïsme a imprégné mon être et ma conscience. Difficile de faire autrement quand vous êtes, quelque part, rescapé d’un des génocides les plus documentés de notre siècle.

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Concrètement, comment cela se manifeste-t-il ?
Toute ma famille paternelle étant juive – plutôt libérale – j’ai assisté à de nombreuses cérémonies et fêtes au cours de mon enfance et mon adolescence. Mes grands-parents me remettaient une enveloppe, non pour Noël, mais pour Hanoukkah (ça tombe quasiment en même temps, c’est pratique). J’ai de la famille en Israël et je m’y suis rendue à plusieurs reprises.
Mais surtout, je me suis beaucoup documentée. J’ai lu, regardé des vidéos, fait des recherches. Sur la Shoah, forcément, mais pas seulement. Sur le judaïsme, sur son histoire, sur Israël. J’ai vibré aux textes de Stefan Zweig et à sa façon de définir sa judéité, qui m’a semblé particulièrement juste.

Pourtant, je suis et je resterai goy. Je pourrais lancer la démarche d’une conversion – il y a quelques années, un de mes cousins m’avait suggéré de me convertir, non pour des raisons religieuses mais pour des raisons culturelles – mais il n’est pas certain que celle-ci aboutisse, et je ne suis franchement pas sûre d’avoir l’intention de respecter les interdits et obligation (faire shabbat, arrêter la charcuterie – seriously ?).
Me voilà donc au milieu du gué, à observer une partie de mon héritage me filer plus ou moins entre les doigts. Car je suis également convaincue de ne pas tout saisir, de ne pas avoir toutes les cartes en main. Parce qu’être exclue de ce que l’on considère comme ses racines (fussent-elles partielles) est assez étrange.

Si je raconte tout cela aujourd’hui, c’et parce qu’il y a quelques semaines, je me suis retrouvée face à un magnifique cas de goysplaining (le terme existe, si, si, si) : un type que je connais d’assez loin s’est mis à m’expliquer pourquoi et comment on pouvait être juif (ou ne pas l’être). Or, ne me considérant pas comme juive, je me suis tue. Et c’est pénible. Parce que je ne peux pas revendiquer mon appartenance au peuple juif – et précisément à cause de cela – je sais très bien ce qui constitue ou pas le fait d’être juif.


*Ceci est une conséquence des pogroms répétés en Europe centrale à partir du 17ème siècle, notamment ceux perpétrés par les cosaques. Leur but était de diluer le sang juif en violant les femmes, à quoi les rabbins ont rétorqué que de toute façon l’appartenance au peuple juif se transmettait par la mère.