The Circus Orchestra

Au temps de l’amour courtois, les troubadours n’allaient jamais sans leurs cousins bateleurs et jongleurs… David Greilsammer et la Geneva Camerata saisissent ce prétexte pour nous proposer une folle collaboration avec la compagnie des Objets Volants et cinq de ses épatants circassiens.

Dimanche dernier, j’ai emmené la Crevette assister à ce spectacle en me disait que ça ferait une chouette sortie – et en priant pour que Mademoiselle soit un peu plus attentive qu’à la fin de Casse-Noisette, où clairement elle ne pensait plus qu’aux cadeaux de Noël.
Le spectacle mêle de grands classiques de la musique baroque (interprété par des cordes et un clavecin) avec des numéros de jonglage. Alors que ce n’est pas évident au premier abord, on se rend compte que les jongleurs font tourner leurs accessoires en rythme. Balles, massues, anneaux de tailles diverses, mais aussi balles géantes et même un violon sont prétextes à des numéros qui donnent à montrer la musique. C’est une excellente façon d’illustrer un art qui peut sembler difficile d’accès à des petits.

Deux coups de cœur sont ressortis, un pour les parents, un pour les enfants. Ces derniers ont adoré la séance de mime, où l’un des jongleurs “joue” avec la première violoniste. La salle riait aux éclats, et il faut reconnaître que c’était drôle et bien pensé.
Quant aux grands, ils ont admiré la prouesse consistant, pour les jongleurs, à interpréter “Le premier prélude pour clavier bien tempéré” de Bach en se passant en rythme des tubes de plastique colorés creux qui rendaient chacun une note.
Nous avons passé un excellent moment et, hormis le dernier quart d’heure où la Crevette m’a demandé si c’était bientôt fini, le temps a filé.

Casse Noisette

Le soir de Noël, Clara reçoit un casse-noisette en cadeau. Pendant la nuit, alors qu’elle se relève pour admirer son nouveau jouet, celui-ci prend vie et l’entraîne dans des aventures extraordinaires…


Ce ballet extrêmement connu est devenu une tradition de Noël, en particulier dans les pays anglo-saxons. Je ne l’ai vu “en vrai” qu’une seule fois, dans l’oubliable version de Tcherniakov, et j’avais envie d’une version plus classique. En outre, la Crevette aime beaucoup regarder des extraits de ballets sur YouTube, et a débuté la danse classique cette année, donc cela me semblait une bonne façon de nous faire plaisir à toutes les deux. La version proposée par le théâtre des Champs Elysées est celle du ballet de l’opéra national de Kiev, d’après la version original de Marius Petipa.

La salle du TCE est relativement petite, surtout quand on est habitué à Bastille ou Garnier, et la scène a paru un peu encombrée quand l’ensemble du corps de ballet était présent – j’ai vu quelques danseurs ralentir pour maintenir l’harmonie des diagonales – mais sinon c’était en place. Les solistes étaient impressionnants de puissance dans les sauts, Yuliia Moskalenko en Clara était très juste, un peu espiègle, un peu innocente, mais sans tomber dans la mièvrerie.
Il y a eu quelques très beaux moments : la valse des fleurs, l’ensemble des rats, les variations du prince et de Clara. Bien entendu, regarder Casse-Noisette aujourd’hui, c’est aussi s’interroger sur les clichés véhiculés par certaines variations (au hasard, la danse du thé). En outre, le gros bémol (ah, ah) de cette représentation était le recours à une musique enregistrée et non jouée en direct : sincèrement, on y perd pas mal, d’autant que le son ne “montait” pas suffisamment dans la salle.

Au final, nous avons passé un bon moment. La Crevette a beaucoup aimé, même si elle n’en pouvait plus de fatigue dans le dernier quart d’heure (deux fois 50 minutes dans une salle surchauffée, c’est très long) et qu’elle a eu peur des souris. Mais c’était une jolie façon de lui présenter la danse classique autrement qu’au travers d’un écran, et peut-être d’instituer un début de tradition familiale.
(En revanche, pour Le lac des cygnes, on attendra encore un peu.)

Casse-Noisette, ballet de l’Opéra national de Kiev, Théâtre des Champs Elysées, jusqu’au 6 janvier 2019

Dialogues des Carmélites

L’action débute en avril 1789. Blanche de la Force, une jeune aristocrate parisienne, annonce à son père son intention d’entrer au Carmel de Compiègne. La mère supérieure du couvent la reçoit et lui demande d’exposer les raisons qui la poussent à rejoindre cet ordre religieux. Devenue novice, Blanche va vivre les derniers jours de la congrégation mise à mal par la Révolution française. La troupe envahit le couvent, mais Blanche réussit à s’échapper. Les ordres religieux sont dissous et les religieuses condamnées à mort. Elles montent à l’échafaud en chantant le Salve Regina. Après bien des hésitations et des doutes sur sa raison d’être, Blanche les rejoint.

J’avais lu la pièce de George Bernanos quand j’étais au lycée. Cette histoire, qui a réellement eu lieu, m’a toujours fascinée (oui, vous avez le droit de penser que j’ai des goûts bizarres). Depuis, je voulais vraiment voir l’opéra, mais il n’est pas donné souvent, c’est pourquoi je me suis jetée sur les dernières places de la production du Théâtre des Champs-Elysées.

C’était une distribution de luxe : de très grandes voix, essentiellement féminines – Patricia Petibon, Sophie Koch, Anne Sofie von Otter, Véronique Gens, Sabine Devieilhe – pour interpréter avec force et sensibilité ces femmes torturées par le doute sur la vie, la mort, l’amour de Dieu. Le questionnement perpétuel de plusieurs personnages sur la justesse de leur choix, sur l’espérance en tant que vertu chrétienne, apporte une profondeur à l’histoire, qui ne se résume pas à une amourette contrée par le destin. Il s’agit de savoir jusqu’où, par foi, ou même par peur, on est prêt à aller. Les héroïnes ne sont pas d’un bloc, et c’est ce qui fait sens.

Alors que j’avais beaucoup de préventions contre lui – une sombre histoire de char d’assaut doré dans Aïda – j’ai trouvé la mise en scène d’Olivier Py formidable, jouant sur la dichotomie lumière / obscurité, enfermement / ouverture, établissant un dialogue parfois étonnant entre valeurs révolutionnaires et règle religieuse. La scène d’exécution finale, en particulier, réussit à éviter tous les écueils, que ce soit l’horreur, le pathos ou la fausse candeur.

Au final, c’était un spectacle magnifique, qui m’a davantage bouleversée que les précédents opéras vus cette année. A bien des égards, cela m’a rappelé le film Des hommes et des dieux – à la différence que, cette fois-ci, je n’ai pas pleuré, même si ça ne s’est pas joué à grand-chose. C’est une oeuvre forte, musicalement moderne mais audible, avec des questionnements, je pense, universels, et portée par des voix et des artistes talentueux.

Dialogues des carmélites, Théâtre des Champs-Elysées, février 2018