Le Foyer des mères heureuses

Elles n’auraient jamais dû se rencontrer : Priya, Américano-Indienne, mariée à un brillant homme d’affaires, à l’avenir tout tracé aux Etats-Unis, et Asha, petite paysanne indienne, mariée à un brave homme couvert de dettes, deux enfants, sans argent et sans avenir. Priya sait qu’elle ne sera jamais mère. Elle sait aussi qu’en Inde on peut facilement recourir aux “services” d’une mère porteuse, il suffit de payer. Et le mari d’Asha a entendu parler de ce qu’il faut bien appeler un “commerce”. La machine ne sera pas longue à se mettre en marche.


L’autre jour chez mon libraire, ce livre m’a immédiatement fait de l’œil. On parle beaucoup de PMA et de GPA, surtout en ces temps d’assises de la bioéthique, et c’est un sujet qui m’a toujours interpellée – je me suis longtemps crue capable d’être mère porteuse si jamais la pratique était légalisée en France.

Ce roman, découpé en courts chapitres, alternant les points de vue de Priya et d’Asha, se lit facilement. On plonge dans la réalité tout de suite, aussi bien celle de la souffrance de ne pouvoir avoir d’enfant que celle de la honte de devoir “se louer” pour faire vivre sa famille. Pour des raisons différentes, chaque femme perçoit la GPA comme seule issue à un problème accablant, et chacune a ses doutes et ses espoirs. L’auteure déroule le fil des pensées de ses personnages sans les juger, montrant les constructions mentales de chacune, comment elles vivent l’expérience, ce qu’elles pensent ou devinent de l’autre, leur rapport à la maternité… Le nom de “Foyer des mères heureuses”, celui réservé aux gestatrices, est bien entendu ambivalent, car de quelles mères parle-t-on ?
J’ai été immédiatement happée par ce très beau récit, très vivant, parfois drôle, où il est certes question de maternité, mais aussi d’amour, de la place des femmes dans la société, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Inde. Je me suis attachée et parfois identifiée aux deux héroïnes, et je n’ai bien évidemment pas manqué de verser une petite larme à la fin. Mais au-delà de l’émotion, l’auteure offre des clés de réflexion sur la GPA, sans juger ni condamner et propose, à mon sens, une lecture intéressante à celles et ceux que le sujet touche.

Le Foyer des mères heureuses, Amulya Malladi, Mercure de France

2018 Reading Challenge : a book about a problem facing society today (la GPA, donc)

Les dames de Kimoto

Hana a vingt ans et c’est le jour de son mariage, arrangé comme le veut la coutume, alors qu’elle n’a vu son fiancé qu’une seule fois. Sa grand-mère, Toyono, qui l’a élevée, incarne la tradition, immuable, ancestrale et veut que sa petite-fille la respecte. Mais on est à l’aube du XXe siècle et déjà le monde change. Hana va vite se retrouver déchirée entre le carcan des obligations familiales et sociales et ses aspirations personnelles. Mère à son tour, elle devra affronter la génération montante en la personne de Fumio, sa fille qui, après de violents conflits, saura prendre des temps anciens et des temps nouveaux ce qu’ils ont de meilleur.


J’ai eu un coup de coeur pour ce livre dès le début : jolie couverture, beau papier, promesse d’une histoire comme je les aime… et le résultat a été à la hauteur de mes attentes.
Avec un style très élégant, Ariyoshi Sawako nous entraîne dans ce Japon en profonde mutation, que l’on connaît relativement mal en Occident. Entre l’ère des samouraïs, déjà achevée, et celle du militarisme, encore en gestation, que s’est-il passé, comment la vie des gens a-t-elle été modifiée ?
Surtout, ce roman est un beau portrait de famille incarnée par les femmes. De la mère à la fille, de la tradition à la modernité, comment concilier les usages, les désirs et le changement ? Ariyoshi explore ces liens parentaux, le rapport à la mère et le conflit inhérent à celui-ci.

J’ai beaucoup aimé ce roman. La première partie est une très belle évocation de la vie aisée en province au début du 20ème siècle, avec ses rites et ses traditions, et qui pourrait se suffire à elle seule. Mais les deux suivantes apportent une profondeur au récit à mesure que le personnage principal vieillit.
En quelque sorte, j’ai eu l’impression de lire un ouvrage à mi-chemin entre Un amour insensé de Tanizaki Junichirô et Chemins de femmes, d’Enchi Fumiko (je recommande les deux, c’est très, très bien). Un portrait de femme(s), une profonde évolution de la société, et la question de la place des femmes dans celle-ci.
Par ailleurs, la traduction est fine, quoique un tout petit peu datée, même si cela ajoute du charme au récit (aujourd’hui, on ne prendrait plus la peine de traduire “miso”, par exemple).

Si je devais émettre deux petites critiques, ce serait d’abord concernant le titre français : le titre original (Kinogawa, Le fleuve Ki), me semble plus adapté car le Ki sert de fil conducteur tout au long du récit. En outre, j’ai relevé deux ou trois coquilles qui, dans la mesure où il s’agit en plus d’une réédition, n’ont rien à faire là : Harimi au lieu de Harumi, Kazuhiko qui devient Kasuhiko… Rien de grave mais cela montre que personne n’a relu ce texte depuis un moment.
Mais que cela ne soit pas un frein, c’est un très joli roman qu’il n’est pas facile de lâcher et qui fait voyage. J’ai moi-même envie de visiter Wakayama lors de mon prochain séjour au Japon, du coup !

Les dames de Kimoto, Ariyoshi Sawako, Mercure de France