Au Bonheur des Dames

Venue de sa lointaine Normandie, Denise arrive à Paris avec ses deux frères sans un sou en poche… D’abord aidée par l’oncle Baudu, un commerçant méfiant, elle va franchir la porte du Bonheur des Dames, un immense magasin de nouveautés qui fait se déplacer tout ce que Paris compte d’élégantes…
Engagée comme vendeuse, Denise découvre autour d’elle les rivalités avec les autres vendeuses, devenant vite la victime d’un système aliénant où il faut sans cesse se battre pour vendre et où les amitiés sont rares. Mais la jeune femme va faire la connaissance d’Octave Mouret, le directeur du Bonheur des Dames, un homme de conquête qui ne songe qu’à l’expansion de son magasin, à défaut de trouver l’amour. À moins que la rencontre avec Denise ne vienne bouleverser ses croyances ?


Ceux qui me connaissent ou lisent ce blog depuis longtemps savent que j’adore Zola (vraiment), et que Au Bonheur des Dames est mon roman préféré. Je l’ai lu l’été de mes 13 ans, et depuis je le relis, intégralement ou par extraits, tous les ans (si). Quand j’ai découvert cette adaptation en BD par Agnès Maupré, j’ai eu un moment d’hésitation : comment condenser un roman de 500 pages en environ 200 planches ? Comment remplacer les merveilleuses descriptions de personnages, de décors, d’émotions ? Mais la couverture était belle, les couleurs m’attiraient, et puis il faut soutenir la relance de l’économie, alors j’ai craqué.

C’était un vrai coup de cœur. Le dessin est fluide, les couleurs éclatantes rendent parfaitement l’attrait qu’exerce le Bonheur, l’opposition colorée entre clientes et vendeuses, et entre grand magasin et petits commerces, déjà présente dans le roman, explose littéralement à chaque page. Les costumes et décors, en particulier les différentes “incarnations” du magasin, sont bien rendus.
En matière d’intrigue, il a fallu couper, bien entendu : certains personnages secondaires (Mme Bourdelais, Mme Frédéric, Lhomme et son fils, Albert), ainsi que certaines parties de l’intrigue (lorsque Denise part travailler dans la maison fondée par Robineau) ont été supprimées, mais il y a encore largement assez de matière pour faire un récit foisonnant et fascinant. La voix du narrateur omniscient est intelligemment remplacée par le baron Hartmann, qui commente les multiples évolutions du Bonheur avec différents personnages.

Je ne connaissais pas du tout le travail d’Agnès Maupré, et c’est une très belle découverte. Elle apporte à l’histoire la sensualité que l’on devinait entre les lignes, un mouvement, une fluidité.
En plus, l’Anglais a été emballé par cette BD, alors que Zola n’est pas sa tasse de thé.

L’âge d’or

La légende parle d’un “âge d’or, où vallées et montagnes n’étaient entravées d’aucune muraille. Où les hommes allaient et venaient librement…” Mais ce temps lointain est bien révolu. Le royaume est accablé par la disette et les malversations des seigneurs de la cour. À la mort du vieux roi, sa fille Tilda s’apprête à monter sur le trône pour lui succéder. Avec le soutien du sage Tankred et du loyal Bertil, ses plus proches conseillers et amis, elle entend mener à bien les réformes nécessaires pour soulager son peuple des maux qui l’accablent. Mais un complot mené par son jeune frère la condamne brusquement à l’exil. Guidée par des signes étranges, Tilda décide de reconquérir son royaume avec l’aide de ses deux compagnons. Commence alors un long périple, où leur destin sera lié à “L’âge d’or”.


J’ai découvert cette bande dessinée par hasard, en traînant chez mon dealer libraire. La couverture m’a attirée, le résumé m’a intriguée, du coup je suis repartie avec, en dépit de son prix assez élevé (32€ quand même).

Ce fut un coup de cœur. J’ai adoré le dessin de Cyril Pedrosa, à la fois nerveux et somptueux, sa façon de jouer avec les couleurs qui apporte vraiment une touche “enluminure” à l’ouvrage. Les teintes dominantes expriment, autant que le dessin, l’émotion qui domine dans la case. En quelques traits, l’artiste parvient à suggérer le mouvement, le rêve, la confusion, l’action…
Le scénario développé par Roxanne Moreil n’est pas en reste. L’oeuvre aborde des sujets comme le pouvoir et ses effets sur l’être humain, la justice, la place des femmes, et questionne sans cesse les motivations de ses personnages. Tout n’est pas ce qu’il semble être, et on prend beaucoup de plaisir à découvrir cet univers médiévalisant et fouillé, auréolé d’une touche de magie.

Alors certes, ce n’est pas donné. Mais en cette période de fête, c’est une excellente BD à (faire) glisser sous le sapin. Je recommande chaleureusement !

L’âge d’or, tome 1, Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil, Dupuis, 32€

Bug

BUG définition. En français : se dit d’un défaut affectant un programme informatique. En anglais : se dit d’un insecte, d’une bestiole, d’un virus… En 2041, la Terre est confrontée brutalement et simultanément aux deux. Un homme, seul, se retrouve dans la tourmente, convoité par tous les autres…


Je suis fan d’Enki Bilal, même si je n’ai pas lu toute son oeuvre.  J’ai toujours trouvé l’évolution de son style graphique fascinante, et ses scénarios, quoique parfois très alambiqués, intéressants.
Le point de départ de Bug est une peur très contemporaine : tous les contenus informatiques disparaissent du jour au lendemain. Que faire dans ce cas ? Comment gérer dans une société toujours plus contrôlée par des programmes ? Bilal interroge avec justesse notre rapport à la technologie, projetant également quelques avancées probables et les inévitables complications qu’elles entraînent. J’avoue avoir aimé cette peinture d’une société hypothétique qui m’a pas mal rappelé le groupe K.K.D.Z.O. de Froid Equateur.

Graphiquement, on retrouve les obsessions du dessinateur pour les aplats de couleur, la palette froide, le trait “flou”… mais sans tomber dans trop d’excès. Pour l’instant, je n’ai pas eu l’impression de perdre le fil de l’histoire dans les errements de l’illustration.

En tout cas, c’est un vrai coup de coeur, et cela faisait longtemps que je n’en avais pas eu pour Enki Bilal. J’espère seulement que l’auteur sait où il va avec son scénario, car c’est une série en plusieurs tomes mais, pour le moment, je recommande chaudement.

Bug, Enki Bilal, Casterman

Dans la combi de Thomas Pesquet

Le 2 juin dernier, le Français Thomas Pesquet, 38 ans, astronaute, rentrait sur Terre après avoir passé 6 mois dans la Station spatiale internationale. La réalisation d’un rêve d’enfant pour ce type hors-norme qui après avoir été sélectionné parmi 8413 candidats, suivit une formation intense pendant 7 ans, entre Cologne, Moscou, Houston et Baïkonour. Dans cette bande dessinée de reportage, Marion Montaigne raconte avec humour – sa marque de fabrique – le parcours de ce héros depuis sa sélection, puis sa formation jusqu’à sa mission dans l’ISS et son retour sur Terre.


Si j’en crois mon fil Instagram, cette BD était l’incontournable de Noël et, d’ailleurs, je l’ai moi-même offerte à l’Anglais. J’ai suivi avec beaucoup de plaisir et de curiosité le séjour de Thomas Pesquet dans l’ISS, et j’aime beaucoup le travail de Marion Montaigne, qui réussit le prodige de rendre les faits scientifiques intéressants et drôles alors qu’en général je suis hermétique à la science.

Première bonne surprise : la BD est épaisse, elle fait plus de 200 pages. Passés les rappels inévitables sur la jeunesse de l’astronaute, tout son parcours au sein de l’ESA est abordé en détail – épreuves de sélection, formation, formation intensive (oui, il y a une différence), séjour et… retour. Sans langue de bois et avec humour – notre héros national en prend pour son grade, les multiples références à Gagarine sont tordantes – l’auteur nous livre une somme passionnante sur la conquête de l’espace et les hommes et les femmes derrière celle-ci. Ce fut un grand plaisir de lecture – surtout pour lutter contre la grippe – et je le recommande chaleureusement. Mon seul regret ? J’aurais pu en lire 200 pages de plus !

Dans la combi de Thomas Pesquet, Marion Montaigne, Dargaud

Au cœur de Fukushima

Fukushima1Depuis l’accident de Tchernobyl, la destruction d’une partie de la centrale de Fukushima est la plus terrible catastrophe nucléaire civile qui ait frappée la planète. Suite à cet événement, un auteur de manga s’est fait engager anonymement comme ouvrier pour travailler dans la centrale afin de raconter le quotidien de cette usine et de ses réacteurs endommagés.


Voilà un manga qui me fait de l’œil depuis un moment, ce qui n’est pas peu dire vu que j’ai quasiment arrêté d’en lire il y a quelques années. Je pense que le fait qu’il s’agisse d’un récit “réel” y est pour beaucoup.
C’est une oeuvre très intéressante. Même si, graphiquement, je l’ai trouvée un peu inégale – le design des personnages rappelle beaucoup le trait des mangas “à l’ancienne” de mon enfance, il me semble, alors que les décors sont très soignés – j’ai adoré la narration. Divisé en bref chapitres qui peuvent se lire indépendamment, ce tome nous plonge dans le quotidien des travailleurs de la centrale. Qu’il s’agisse des techniciens chargés de démonter les lieux, des employés des salles de pause ou des agents chargés de la sécurité, chacun a une tâche bien particulière.
Il n’est pas question, dans ce livre, de faire un exposé technique sur ce qu’est une centrale nucléaire, l’irradiation, les risques pour la santé, etc. Il s’agit vraiment d’une restitution au plus près de la vie de ces anonymes qui œuvrent en sous-main (voire en sous-sous-main) dans ce no man’s land. Mais justement, cette perspective différente donne une autre dimension à la catastrophe.

J’ignore combien de tomes la série comportera mais, une chose est sûre, je lirai volontiers la suite !

Au cœur de Fukushima – Journal d’un travailleur de la centrale 1F, TATSUTA Kazuto, Kana

Jour J, tome 23 – La république des esclaves

JourJ2358 avant Jésus-Christ. La République des affranchis, fondée par Spartacus en Sicile, défie l’armée romaine et fait trembler Rome depuis treize ans. Mais la crainte d’une nouvelle guerre contre Carthage redonne à la Sicile un statut de terre stratégique. Jules César est donc chargé, plutôt que d’aller en Gaule, de conduire les légions qui attaqueront Spartacus et les siens.


Reprenant l’idée qui préside à chaque tome – un événement n’a pas eu lieu comme prévu – la série Jour J nous propose d’explorer l’histoire telle qu’elle aurait pu être et non telle qu’elle s’est déroulée. Cette fois-ci, Spartacus a survécu à la fin de la troisième guerre servile et s’est établi avec les siens en Sicile, où il a établi une “république des affranchis”.
Si le concept de départ est bon et permet d’explorer l’histoire antique jusqu’à présent délaissée, je dois avouer que j’ai été assez déçue par ce tome. Le scénario est très prévisible jusque dans son ultime rebondissement et, contrairement à ce que le titre laisse entendre, on assiste plus à une relecture du mythe de César qu’à la constitution de ladite république des esclaves. Il aurait été intéressant de fouiller davantage cette utopie, selon moi.
En outre, je n’ai pas réussi à accrocher au dessin, ce qui est un peu problématique. Parfois, certaines planches sont belles et lumineuses mais la plupart donnent l’impression d’avoir été numérisées en 3D, c’est assez déstabilisant. Accessoirement, je trouve que le trait de l’artiste convient mieux à du post-apocalyptique qu’à de l’historique (cherchez pas, c’est une question de goût, je pense), ce que l’on voit bien sur son site.

Du coup, nous garderons ce tome pour qu’il n’y ait pas de trou dans notre collection, mais vous pouvez vous dispenser de l’acheter.

Jour J, tome 22 – L’Empire des steppes

Jour J 221242. Après l’incendie de Rome par les Mongols, les armées chrétiennes s’unissent pour sauver l’Occident.


Comme toujours quand un tome de cette série est publié, l’Anglais et moi nous jetons dessus. Cette fois-ci, nous avons mis un moment à comprendre quel était l’événement “différent” de la vraie chronologie : en 1241, Ögödei Khan (fils de Gengis Khan) mourut après la mise à sac de Pest, ce qui sauva probablement l’Europe occidentale de la conquête mongole.
Rien de tout cela ici : les chevaliers européens se font massacrer copieusement et ont beau ériger un mur de défense semblable au limes romain, rien n’y fait. Il est alors question de mener une ambassade jusqu’à Karakorum, la capitale de l’empire…

J’ai beaucoup aimé ce tome, qui met en scène une Europe salement amochée par les raids ennemis, tout en demeurant empêtrée dans ses traditions séculaires qui l’empêche d’être efficace contre ce type d’assaillant. Le dessin est vif, la narration bien fichue et le scénario accrocheur. Néanmoins, je suis restée sur ma faim car… l’histoire est en deux tomes ! Il n’y a plus qu’à espérer que le suivant ne sera pas long.

L’île Louvre

L'ile LouvreNouveau tome dans la collaboration entre l’établissement du Louvre et les dessinateurs de bande dessinée – rappelez-vous Les gardiens du Louvre de Taniguchi – L’île Louvre est la contribution de Florent Chavouet. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un récit, mais plutôt d’un carnet de notes et de croquis saisis sur le vif, comme l’auteur en est familier.

Outre le sujet, qui me plaît beaucoup – j’ai beaucoup marché au Louvre dans ma jeunesse et j’aime bien y retourner une à deux fois par an m’y perdre – la narration, qui suit en réalité la promenade de l’artiste dans le musée, m’a enchantée. Ceux qui ont accroché à Tokyo sampo et Manabe-shima mais moins à Petites coupures à Shioguni seront ravis, mais cet ouvrage peut aussi séduire les amoureux du Louvre. Fidèle à lui-même, l’auteur a également intégré un plan avec de petites notes savoureuses (attention, contrairement à ce que je pensais, ce plan ne se détache pas !).
En outre, comme toutes les BD sur ce thème qu’il m’a été donné de lire jusqu’à présent, Florent Chavouet ajoute une petite note fantastique, transformant le musée en île et rappelant çà et là la nécessité de consulter les horaires des marées et de ne pas rater le dernier ferry pour l’île Montmartre… Un vrai régal, qui se lit malheureusement trop vite.

L’île Louvre, Florent Chavouet, Futuropolis, Louvre Editions, 20€

Le papyrus de César

Astérix papyrusA Rome, c’est l’effervescence : César est sur le point de publier ses célèbres Commentaires sur la guerre des Gaules. Las, il est trop honnête et a fait la liste de ses déboires avec les irréductibles Gaulois. Pour faciliter son succès, son conseiller Promoplus lui suggère alors de supprimer le dernier chapitre consacré à ce sujet. Mais bien entendu, tout ne se passe pas comme prévu…


Je suis fan des aventures d’Astérix – à tel point que j’estime avoir appris à lire en feuilletant les albums de mes parents – mais j’ai été très déçue pendant quelques années des titres tels que La rose et le glaive (ultra sexiste quand on le lit aujourd’hui, en plus) sans parler de l’atroce Le ciel lui tombe sur la tête (un peu comme l’épisode I, ce tome n’existe pas). Mais quand la série a été reprise par Ferri et Conrad, j’ai été emballée, en dépit de quelques longueurs.

Cette fois-ci, mon sentiment est encore plus positif que pour Astérix chez les Pictes. On retrouve l’univers visuel parfaitement maîtrisé par Conrad, les jeux de mots, l’atmosphère du petit village gaulois que nous connaissons bien…
Côté histoire, l’idée d’une publication de César à la manière d’un lancement de best-seller contemporain est assez drôle et se prête à divers clins d’oeil plus ou moins légers en direction du monde de l’édition. On sent que les auteurs se sont davantage affranchis de l’écrasant héritage de Goscinny et Uderzo.
Bien entendu, ce tome n’est pas parfait, on peut reprocher une volonté de faire rire à tout prix, un peu trop d’apartés et de notes, mais, dans l’ensemble, je me suis beaucoup divertie et, l’espace d’une demi-heure, j’ai retrouvé mon âme d’enfant qui dévorait les aventures des deux guerriers moustachus le soir avant de dormir.

Jour J, tome 21 – Le crépuscule des damnés

JourJ211943. L’aviation fasciste française livre son dernier combat lors du débarquement allié. Alors que les derniers prototypes d’avions à réaction mis au point en France ne parviennent à s’opposer à l’armada aérienne anglo-américaine, Léo profite de la pagaille générale pour traquer le commissaire Lafont.


Ce n’est pas un secret, j’adore la série “Jour J” et sa façon de réenvisager l’histoire (de France la plupart du temps) selon l’idée du “et si…?”. Ce tome-là est en réalité le troisième de la série “Oméga” (“Oméga” et “Opération Charlemagne”), qui part du principe que ce n’est pas l’Allemagne, mais la France, qui a basculé dans le fascisme dans les années 30 (Oméga étant le nom de sa police secrète). Alors que j’étais dubitative, force est de constater que les auteurs ont très bien géré leur récit.
La France est sur le point de perdre la guerre contre l’Angleterre et les Etats-Unis, et la démocratie sera bientôt rétablie. Mais plutôt que de se concentrer sur une seule piste, l’histoire propose différents points de vue : celui de Léo, héros des deux premiers tomes, qui poursuit sa vengeance, celui de Pierre Mendès-France, résistant puis homme de pouvoir, de Simone de Beauvoir, collaboratrice… Ce récit à plusieurs voix offre un tableau à la fois saisissant et contrasté de ce qu’aurait pu être la débâcle, non en 1940, mais en 1943.
Vous l’aurez compris, ce tome m’a beaucoup plu, et j’en suis ravie car, après avoir essuyé quelques déconvenues, je craignais que la série ne s’essouffle. Vivement la suite !

Jour J, tome 21, Le crépuscule des damnés, Delcourt